Dans The Ritual, Tobias Nicolai révèle une drôle de coutume danoise consistant à asperger de cannelle les célibataires à leurs 25 ans. Une série épicée, à l’épaisseur artistique quasi picturale. Cet article est à redécouvrir dans notre dernier Fisheye.
Les poings liés derrière un poteau, le visage protégé par un masque… Les mystérieux personnages de Tobias Nicolai semblent se battre pour survivre dans un territoire en guerre, où les détails des paysages se confondent dans la poudre cuivrée qui les recouvre. Les corps disparaissent derrière une étrange mixture aux tons sombres, les vêtements se tachent d’ombres marron, les masques chirurgicaux se froissent et se camouflent, effacés par ces nuages sableux. Le monde tel que nous le connaissons a disparu, remplacé par un décor postapocalyptique digne de Mad Max… Pourtant il n’en est rien. À travers The Ritual, le photojournaliste danois Tobias Nicolai illustre une curieuse tradition venue du nord de son pays natal. « Il s’agit d’une coutume culturelle. Lorsqu’elles atteignent 25 ans, les personnes non mariées sont saupoudrées de cannelle par leurs proches. Si on parle peu de ce rite dans les livres d’histoire, mes recherches m’ont appris qu’il datait des années 1960, à une époque où les gens se mariaient plus tôt qu’aujourd’hui », explique l’auteur de la série.
Diplômé de l’École danoise de média et journalisme (DMJX), le photographe se passionne pour les narrations inspirées par le réel, par les détails et les esthétiques que nous pensons connaître. « J’aime capturer mon environnement tout en déconstruisant nos perceptions et nos attentes pour souligner la dimension extraordinaire de l’ordinaire », ajoute-t-il. Un soir, alors qu’il rentre tard, Tobias Nicolai surprend un groupe de jeunes versant la cannelle sur un de leurs amis. Un événement qui le pousse à réaliser The Ritual. Déjà familier avec la tradition, il réalise, en publiant son projet dans le magazine danois Information, que beaucoup d’habitant·es du pays ne connaissaient pas cet étrange bizutage. « Je pense qu’il est très important de documenter ces aspects de notre culture qui sont ancrés dans certaines régions et paraissent exotiques pour d’autres. Ça nous aide à comprendre ce que signifie être danois, à mieux nous comprendre », déclare l’auteur. Et si la pratique peut sembler barbare à celles et ceux qui n’y sont pas habitué·es, elle est en vérité synonyme de célébration : une simple farce que l’on fait à nos proches. « Ces dernières années, des entrepreneur·ses ont même créé des entreprises fournisseuses de cannelle lors de ces événements », précise Tobias Nicolai.
Et pour honorer la dimension festive du rituel, le photographe joue, lui aussi, avec les émotions du public, brouillant volontairement sa perception d’un nuage poudreux aux reflets dorés. « On a l’impression que je capture des scènes de torture ou de punition. Cette ambiguïté m’intéresse particulièrement. Je n’aime pas que les regardeur·ses aient toutes les clés en main. Le doute captive, c’est pourquoi ces images sont intéressantes à observer », confie-t-il. Cadrages serrés, flashs violents, clairs-obscurs dramatiques… brouillant les pistes, The Ritual nous transporte en pleine action, parmi les odeurs d’épices et les rires des jeunes, dans une lutte aux péripéties fantasmées. Une manière originale d’illustrer le rite tout en invoquant l’attention des non-initié·es.
© Tobias Nicolai