… Au début, on pense un peu à une blague. Car la lecture attentive de l’actualité internationale nous donne la vague impression qu’Azerbaïdjan et tolérance ne semblent pas faire bon ménage, surtout au niveau de l’opposition politique. Mais le nom de Reza, photojournaliste de renommée mondiale s’il en est, me plonge dans le trouble. Alors je regarde attentivement ce mail.
Après deux pages de louanges sur les honneurs et réalisations de Reza, quelques lignes sur ladite manifestation culturelle : « L’exposition Azerbaïdjan, terre de tolérance à la Mairie du 1er arrondissement de Paris présente une série de reportages au sein des communautés religieuses chrétiennes, musulmanes et juives qui cohabitent en Azerbaïdjan, toutes animées d’un profond désir de partage, de respect et de dialogue avec l’autre. Cette exposition fait la lumière sur les ponts communautaires millénaires que chaque groupe religieux a tissé avec l’autre. Un rêve éveillé qu’un jour ce “vivre ensemble” puisse se diffuser partout dans le monde. » Le visuel qui accompagne tout cela est une petite fille avec un maquillage de papillon sur le visage. Une photo de Reza d’une banalité assez étonnante.
« Ce qui me dérange, c’est que Reza se prête à l’exercice »
Et tout en bas, la liste des mécènes de la chose organisée par la maire du 1er arrondissement de Paris, parmi lesquels on note l’ambassade de la République d’Azerbaïdjan en France et la fondation Heydar Aliyev. Et évidemment une petite explication sur cette dernière. « La Fondation Heydar Aliyev a été créée pour célébrer la mémoire de l’ancien président de la République d’Azerbaïdjan Heydar Aliyev qui, après la chute de l’Union soviétique, fut le bâtisseur de l’État indépendant d’Azerbaïdjan, mais aussi pour promouvoir la richesse du patrimoine moral et culturel du pays. Elle est présidée par Mehriban Aliyeva, première dame de la République d’Azerbaïdjan. » L’épouse d’Ilham Aliyev – fils de son père et au pouvoir depuis douze ans – fut d’ailleurs présente au vernissage de l’exposition qui a pris la forme d’une ode à son pays. Ce qui me dérange dans cette histoire, ce n’est pas tant que l’Azerbaïdjan s’achète une image de démocratie par des actions plus ou moins intelligentes en la matière, mais que Reza se prête à l’exercice.
Fourvoyé
Ce monsieur incarne presque à lui seul la figure du photojournaliste et, quand il se fourvoie, il jette l’opprobre sur cette profession dont l’honneur est sûrement le premier salaire. Son sujet sur les religions ne peut faire oublier que l’Azerbaïdjan arrive 162e sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2015 de l’association Reporters sans frontières. Que régulièrement des manquements aux droits de l’Homme y sont décrits. Pendant l’exposition même, le 8 septembre dernier, Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a condamné la répression gouvernementale en cours à l’encontre de la société civile et des voix indépendantes. « En dépit de mes appels répétés aux plus hautes autorités de l’État, y compris au Président lui-même, une pression excessive, des harcèlements et des intimidations contre les journalistes et les défenseurs et militants des droits de l’Homme par les autorités de l’État continuent d’être signalés en Azerbaïdjan. »
Il dénonce dans sa lettre la condamnation de la journaliste et militante des droits humains Khadija Ismayilova pour des raisons fallacieuses à sept ans et demi de prison. Des histoires comme celles-là, il en existe des dizaines dans ce pays. Reza ne peut l’ignorer. Surtout lui qui semble prendre si au sérieux le photojournalisme, comme le prouve son interview du 1er octobre dernier au site www.destination-reportage.com. Extraits : « Pour moi, une personne qui prend un appareil photo et qui a une idée journalistique, qui veut montrer ce qu’il se passe autour de lui, fait un acte politique, il est militant. » Ou encore : « La photographie est un acte qui est constamment mis à l’épreuve, constamment attaqué par ceux qui n’aiment pas ce que l’on dénonce. » Donc oui, Monsieur Reza, vu votre statut, votre carrière et le crédit que l’on vous porte, vous n’auriez pas dû participer avec complaisance à cette opération, même si les temps sont durs pour vous comme pour vos confrères.