Le doigt d’honneur de Reza au photojournalisme

25 novembre 2015   •  
Écrit par Benoît Baume
Le doigt d'honneur de Reza au photojournalisme
Il y a des dizaines de communiqués qui arrivent tous les jours sur ma boîte mail pour des expos photo. Et j’ai la fâcheuse habitude de les lire. Ça prend du temps, mais ça permet d’avoir une vue exhaustive. Là, le titre a tout de suite attiré mon attention : Reza / Azerbaïdjan, terre de tolérance…

… Au début, on pense un peu à une blague. Car la lecture attentive de l’actualité internationale nous donne la vague impression qu’Azerbaïdjan et tolérance ne semblent pas faire bon ménage, surtout au niveau de l’opposition politique. Mais le nom de Reza, photojournaliste de renommée mondiale s’il en est, me plonge dans le trouble. Alors je regarde attentivement ce mail.

Après deux pages de louanges sur les honneurs et réalisations de Reza, quelques lignes sur ladite manifestation culturelle : « L’exposition Azerbaïdjan, terre de tolérance à la Mairie du 1er arrondissement de Paris présente une série de reportages au sein des communautés religieuses chrétiennes, musulmanes et juives qui cohabitent en Azerbaïdjan, toutes animées d’un profond désir de partage, de respect et de dialogue avec l’autre. Cette exposition fait la lumière sur les ponts communautaires millénaires que chaque groupe religieux a tissé avec l’autre. Un rêve éveillé qu’un jour ce “vivre ensemble” puisse se diffuser partout dans le monde. » Le visuel qui accompagne tout cela est une petite fille avec un maquillage de papillon sur le visage. Une photo de Reza d’une banalité assez étonnante.

« Ce qui me dérange, c’est que Reza se prête à l’exercice »

Et tout en bas, la liste des mécènes de la chose organisée par la maire du 1er arrondissement de Paris, parmi lesquels on note l’ambassade de la République d’Azerbaïdjan en France et la fondation Heydar Aliyev. Et évidemment une petite explication sur cette dernière. « La Fondation Heydar Aliyev a été créée pour célébrer la mémoire de l’ancien président de la République d’Azerbaïdjan Heydar Aliyev qui, après la chute de l’Union soviétique, fut le bâtisseur de l’État indépendant d’Azerbaïdjan, mais aussi pour promouvoir la richesse du patrimoine moral et culturel du pays. Elle est présidée par Mehriban Aliyeva, première dame de la République d’Azerbaïdjan. » L’épouse d’Ilham Aliyev – fils de son père et au pouvoir depuis douze ans – fut d’ailleurs présente au vernissage de l’exposition qui a pris la forme d’une ode à son pays. Ce qui me dérange dans cette histoire, ce n’est pas tant que l’Azerbaïdjan s’achète une image de démocratie par des actions plus ou moins intelligentes en la matière, mais que Reza se prête à l’exercice.

Fourvoyé

Ce monsieur incarne presque à lui seul la figure du photojournaliste et, quand il se fourvoie, il jette l’opprobre sur cette profession dont l’honneur est sûrement le premier salaire. Son sujet sur les religions ne peut faire oublier que l’Azerbaïdjan arrive 162e sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2015 de l’association Reporters sans frontières. Que régulièrement des manquements aux droits de l’Homme y sont décrits. Pendant l’exposition même, le 8 septembre dernier, Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a condamné la répression gouvernementale en cours à l’encontre de la société civile et des voix indépendantes. « En dépit de mes appels répétés aux plus hautes autorités de l’État, y compris au Président lui-même, une pression excessive, des harcèlements et des intimidations contre les journalistes et les défenseurs et militants des droits de l’Homme par les autorités de l’État continuent d’être signalés en Azerbaïdjan. »

Il dénonce dans sa lettre la condamnation de la journaliste et militante des droits humains Khadija Ismayilova pour des raisons fallacieuses à sept ans et demi de prison. Des histoires comme celles-là, il en existe des dizaines dans ce pays. Reza ne peut l’ignorer. Surtout lui qui semble prendre si au sérieux le photojournalisme, comme le prouve son interview du 1er octobre dernier au site www.destination-reportage.com. Extraits : « Pour moi, une personne qui prend un appareil photo et qui a une idée journalistique, qui veut montrer ce qu’il se passe autour de lui, fait un acte politique, il est militant. » Ou encore : « La photographie est un acte qui est constamment mis à l’épreuve, constamment attaqué par ceux qui n’aiment pas ce que l’on dénonce. » Donc oui, Monsieur Reza, vu votre statut, votre carrière et le crédit que l’on vous porte, vous n’auriez pas dû participer avec complaisance à cette opération, même si les temps sont durs pour vous comme pour vos confrères.

Texte : Benoît Baume

Explorez
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle "Le 7 à 9 de CHANEL", le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment...
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
À l'Abbaye de Jumièges, la Tunisie tisse son histoire
Série « Intimité brodée », projet « Woven Window », 2024 © Asma Ben Aïssa
À l'Abbaye de Jumièges, la Tunisie tisse son histoire
Célébrant dix ans de coopération avec la Tunisie, le département de la Seine-Maritime met en lumière le travail de onze artistes de la...
28 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Mondes en commun : le musée Albert Kahn sème un inventaire photo dans son jardin
Siân Davey, The Garden XXIII, 2023
Mondes en commun : le musée Albert Kahn sème un inventaire photo dans son jardin
Jusqu’au 7 septembre 2025, le musée Albert Kahn présente la deuxième édition de son festival de photographie contemporaine Mondes en...
23 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Ed Alcock remporte l'édition 2025 du prix Niépce Gens d'images
© Ed Alcock / MYOP
Ed Alcock remporte l’édition 2025 du prix Niépce Gens d’images
Le prix Niépce Gens d’images vient de révéler le nom de son 70e lauréat : il s’agit d’Ed Alcock. Au fil de ses projets, le photographe...
22 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle "Le 7 à 9 de CHANEL", le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment...
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Love, de la série Huá biàn © Agathe Veidt
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Agathe Veidt saisit la fête et les chants de révolte au cœur d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen. De retour en France, elle tricote...
29 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Sidewalk Stills © Charles Negre
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Dans Sidewalk Stills, le photographe français Charles Negre offre un regard sensible sur les déchets qui parsèment les sols des marchés...
29 mai 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Thomas Paquet : « imposer une économie de gestes »
© Thomas Paquet. Vignettage
Thomas Paquet : « imposer une économie de gestes »
À l’occasion du Paris Gallery Weekend, la Galerie Thierry Bigaignon présente, jusqu’au 31 mai 2025, une exposition personnelle de...
29 mai 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche