Découverte grâce à sa série Kochan, Alessandra Calò partage, à l’occasion de Regards Croisés, son projet féminin et militant : Les inconnues. Mêlant images d’archives et créations artisanales, sa série fait l’éloge de femmes d’antan que l’histoire a volontairement bridées.
C’est de manière indépendante et autodidacte qu’Alessandra Calo s’est initiée à la photographie. L’artiste italienne, ou « créatrice d’images » – comme elle aime justement se définir – construit depuis plusieurs années une œuvre photographique hybride, à la croisée des arts plastiques, bercée par la thématique du souvenir. « J’utilise des images contemporaines et d’archives (photos, documents, autres matériaux) pour créer une nouvelle vision : comme un état d’esprit inédit combiné à la réalité et non une simple évocation nostalgique du passé », confie-t-elle. Et c’est grâce à cet agrégat de techniques que l’autrice expérimente et réinterprète des œuvres à sa façon, avec l’ambition de présenter des créations intemporelles : « J’utilise des procédés qui traversent les époques, faits à la fois de pratiques anciennes (émulsions chimiques pour imprimer) et plus modernes (création de négatifs numériques pour le tirage par contact) ».
De la nécessité de ne plus oublier
Développant désormais son propre langage artistique, Alessandra Calò dit s’inspirer continuellement des gens qui l’entourent, des évènements tant historiques que quotidiens, mais aussi des émotions – surtout « lorsqu’elles sont vécues intensément ». Avec son nouveau projet Les inconnues, elle aborde la question de mémoire, via des figures féminines évincées des récits historiques. Elle rend hommage en particulier aux deux premières photographes à avoir pris et imprimé seules des photographies : Anna Atkins et Constance Fox Talbot.
Se joignent à ces dernières d’autres intervenantes aux noms quant à eux dissimulés mais aux visages apparents et aux vies fulgurantes : « La présence de ces Inconnues peut être considéré comme le résultat d’une enquête et la tentative de remonter le temps, comme si je voulais entrer en contact avec des femmes de l’histoire de la photographie », explique l’artiste. Au-delà de cette volonté de les remettre au-devant de la scène, Alessandra Calò témoigne également de la nécessité d’une telle intention, et de l’empathie à avoir face à ces portraits. « Dans mes recherches, il existe un langage destiné à suggérer des émotions sans avoir besoin de trop de mots. Je pense que cela nous prouve que le passé conditionne le présent et qu’il devient épaisseur, poids, blessure. Les images sont comme un miroir, où chacun peut trouver quelque chose », ajoute-t-elle.
© Alessandra Calò
Le médium c’est le message
Toutes issues d’archives qu’Alessandra Calò a pu trouver en ligne, les images de ces femmes ont été retravaillées et ornées d’éléments naturels. Dans un souci constant de faire évoluer ses procédés, l’artiste a décomposé sa série en deux parties complémentaires, présentant les mêmes créations. L’une étant faite d’un simple tirage de papier, et l’autre de tirages spécifiques – réalisés grâce au procédé du calotype – imprimés sur des plaques lumineuses de cristal superposées.
Ici, le processus créatif d’Alessandra Calò contribue à la concrétisation matérielle de sa réflexion symbolique. Autrement dit, grâce à sa composition particulière, elle met littéralement en lumière ces femmes de l’ombre. Parmi ces créations, l’une d’entre elles reste encore énigmatique pour l’artiste (ci-dessus) : « J’ai un sujet très étrange qui en fait ma préférée. J’ai passé beaucoup de temps à développer cette image. À chaque fois mes tirages étaient infructueux, son visage ne se révélait jamais à la chambre noire. Jusqu’à ce qu’elle apparaisse enfin et soit inondée au moment du montage sur la plaque de verre. C’est comme si cette femme voulait faire disparaître à jamais son identité », confie-t-elle. Véritable plaidoyer féminin, Les inconnues célèbre nos ancêtres, celles que l’on a oubliées à tort, et leur redonne, l’espace d’un regard, leur notoriété trop longtemps retirée.
Les inconnues d’Alessandra Calò est à retrouver dans le cadre de l’exposition Regards Croisés, jusqu’au 31 décembre prochain, à la Galerie Zola, Cité du Livre, 8-10 Rue Des Allumettes, 13100 – AIX-EN-PROVENCE.
© Alessandra Calò