Fasciné par un désert de Jordanie aux allures martiennes, Chris Mann a shooté pendant quatre jours ses canyons, ses dunes, sa faune et sa flore. Dans Valley of the Moon, il prive volontairement le paysage de ses couleurs pour proposer une immersion dans un territoire aux confins de l’imaginaire.
C’est un monde étrange, bordé par des roches qui s’étalent le long de canyons et cinglé par le sable qui étincèle sous la chaleur d’un soleil omniprésent. Des bédouins l’arpentent, protégés par des tissus légers, des aventureux·euses en escaladent les falaises escarpées, et les loups, renards, oiseaux de proie en connaissent chaque recoin. Ce territoire aux allures extraterrestres, c’est le Wadi Rum, une vallée désertique située au sud de la Jordanie. Un espace connu pour ses paysages teintés de couleurs chaudes, cramoisies, qui attire chaque année de nombreux·ses touristes et équipes de tournage. Pourtant, c’est en noir et blanc que Chris Mann a choisi de le capturer. Effaçant les nuances si caractéristiques du lieu, il s’éloigne volontairement du réel et nous invite à plonger dans un récit bordé de mystères.
Venu du sud du Yorkshire, en Angleterre, l’auteur s’est initié au médium photographique par le biais du skateboard. Une discipline qui a dicté ses premiers principes en tant qu’auteur : « Découvrir le monde, être curieux, et chercher continuellement de nouvelles manières d’interpréter mon environnement », énumère-t-il. Et c’est grâce au skate, et l’association jordanienne 7Hill qu’il découvre Wadi Rum, surnommée Vallée de la Lune, en 2019. Fasciné par la beauté aliénante du cadre, il y retourne quelques jours, deux années plus tard, afin de composer Valley of the Moon, un conte monochrome infusé de mysticisme.
Oublier ses repères
Travaillant à l’argentique et amateur des chambres noires, le Britannique a appris à aimer le rapport tactile à la photographie : le choix du papier, la magie derrière l’alchimie qui opère… « Deux tirages ne sont jamais identiques ! », s’enthousiasme-t-il. Un processus lent et délicat, dont surgissent des œuvres au grain velouté, et aux contrastes réfléchis. Les outils nécessaires pour rendre compte de « l’atmosphère futuriste » du désert. Peu intéressé par les représentations fidèles du réel, Chris Mann se consacre aux sensations, à l’indicible. De son voyage, il rapporte des fulgurances visuelles, des impressions qu’il pose sur papier, sans chronologie, en décomposant le temps pour former un tout décousu où l’absence de sens unit les images. « Deux chiens sur une dune devenaient miroirs de deux bédouins. Les étoiles dans la nuit reflétaient la texture des pierres en pleine journée… Le vide d’une photo était comblé par une autre », se souvient-il. Une coalition poétique suivant les fluctuations du désert, les mouvements des êtres vivants pour souligner les relations entre « hommes et nature, ombre et lumière, éphémère et perpétuel ».
Privé·es de la couleur pour nous repérer dans cette région étrangère, il nous faut alors, au fil des créations du photographe, trouver le dénominateur commun, relier les résonances, déceler les échos pour composer notre propre histoire. « Wadi Rum est connu pour ses teintes évoquant Mars. En enlevant cette couche d’information, je propose une autre perspective, qui s’approche plus de l’imaginaire », rappelle l’artiste. À la manière de Daido Moriyama, Renato D’Agostin ou encore Paul Cupido, dont il admire les travaux, Chris Mann compose, avec Valley of the Moon, une ode viscérale à notre monde, hors des sentiers battus. Un émerveillement visuel, nourri par le sauvage, l’aride, la solitude et l’évasion. Une manière unique d’encapsuler un paysage, en proposant aux regardeur·ses d’oublier ses repères pour parvenir à mieux voir.
© Chris Mann