Road trip canadien : un autre visage du Grand Nord

12 avril 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Road trip canadien : un autre visage du Grand Nord

Pour réaliser Canadian West, le photographe Marley Hutchinson a entrepris un road trip solitaire. Un voyage de deux semaines duquel il rapporte des fragments d’histoires, illustrant un Canada atypique, loin de ses représentations habituelles.

Street, documentaire, surréalisme, mode, natures mortes, abstraction… Les influences de Marley Hutchinson, jeune photographe britannique autodidacte, reflètent son goût prononcé pour l’éclectisme. L’artiste puise son inspiration dans les œuvres, et les « classiques photographiques » du 20e siècle. « Mon travail pourrait être défini par un constant désir d’expérimentation, des scènes monochromes poignantes, des couleurs vives et un attrait pour le mystère et le jeu », précise-t-il. Retrouvant, dans les compositions des années passées, une certaine nostalgie qui l’attire, l’auteur s’intéresse à la notion d’intemporalité, réalisant des compositions mélancoliques, aux contrastes durs, rudes, comme des fragments déchirés du passé, venu recouvrir le présent d’un voile sans âge.

On retrouve, dans les œuvres de Marley Hutchinson, la pâte de ses « maîtres photographes » – Saul Leiter, Paul Strand, Robert Frank ou encore Ernst Haas – un désir de repousser les frontières de l’image, pour mieux faire ressurgir sa dimension réelle, organique. De la scène japonaise contemporaine, et des artistes follement talentueux de Provoke, l’auteur a appris l’art des compositions, graphiques, marquantes. Des portraits pris sur le vif, dans l’action, qui, malgré tout, parviennent à saisir quelques fragments d’identités. « Je suis également ébloui par la vision de certains photographes émergents : Jamie Hawkesworth, Robbie Lawrence, Jack Davison et Harley Weir, qui viennent tous du monde de la photo documentaire », ajoute l’auteur. Des artistes se jouant eux aussi de la porosité entre les esthétiques, entre les genres, pour donner à leurs récits une profondeur nouvelle. Car c’est en faisant dialoguer les « figures de style » que Marley Hutchinson tisse ses récits. Une collection faite de contrastes, d’échos, qui s’unissent pour donner à l’ordinaire une splendeur touchante, qui marque les esprits.

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

Nuances, convergences et hasards

Entre road trip improvisé et esthétisme recherché, Canadian West se lit comme « un projet documentaire qui explore les habitants, les régions, et la culture d’une région peu représentée de l’Amérique du Nord : l’Ouest canadien », précise le photographe. En juin 2019, celui-ci a entrepris un périple en voiture, dans les provinces de la Colombie-Britannique, d’Alberta et de la Saskatchewan. Familles d’agriculteurs vivant loin des zones urbaines, champions de rodéo, performers indigènes, villes fantômes étrangement abandonnées… Au fil de son voyage, Marley Hutchinson capture le visage d’un Canada peu connu. Un territoire immense, réduit, dans notre imaginaire commun, à des représentations stéréotypées. « Le Canada est bien sûr un lieu de destination populaire, pourtant, les gens semblent se diriger vers les États-Unis lorsqu’il s’agit d’organiser un road trip. Si de nombreux photographes ont déjà réalisé ce parcours, j’ai réalisé que je n’avais jamais vu de série similaire, faite au Canada – ce qui a suscité mon intérêt », explique Marley Hutchinson. Avec près de 10 000 millions de km2 pour environ 37 millions d’habitants seulement, le pays impressionne. Un morceau de terre gigantesque, où naissent, çà et là, des traces de vie. Le reste de l’espace ? Un monde sauvage, inhabité, où l’Homme ne fait – tout comme l’auteur – que passer, sans jamais oser s’éterniser.

C’est cette singularité que Canadian West parvient à encapsuler. En jouant avec les couleurs et les monochromes, les textures et les formes, le photographe signe une illustration réaliste du territoire. Un portrait fait de nuances, de convergences et de hasards. Au gré de ses errances, Marley Hutchinson croise les personnages atypiques qui arpentent ces routes peu empruntées. Parmi eux, Ben, un fermier d’Alberta, dont la famille, venue d’Écosse, a migré au Canada dans les années 1950, et à qui les collines de la province rappellent son pays d’origine. Une jeune danseuse, vêtue d’une robe traditionnelle, connue pour se produire lors des pow-wows – des rassemblements chamaniques Nord amérindiens. Ou encore un vieil homme vivant dans une ancienne ville minière de Colombie-Britannique, collectionnant, dans sa boutique, des objets de tout âge : cloches de bateaux, pièces de machines, tuyaux, drapeaux… « Il m’a fait découvrir une exposition d’art plongée dans le noir, éclairée par des lumières fluorescentes et installée sous son magasin. C’était un type intéressant », se souvient le photographe. Loin des clichés d’un Canada populaire, où les paysages enneigés s’opposent aux métropoles et aux foules, Canadian West propose une excursion dépaysante dans un espace inexploré. Un récit à la chronologie libre, révélant, au bord des routes, des panoramas somptueux, et des visages bouleversants.

© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson© Marley Hutchinson

 

© Marley Hutchinson

© Marley Hutchinson

Explorez
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
© Charbel Alkhoury
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
Avec Not Here Not There, l’artiste visuel libanais Charbel Alkhoury propose un ouvrage bouleversant, à mi-chemin entre mémoire intime et...
08 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chloe Sharrock : chants de bataille
© Chloe Sharrock / MYOP
Chloe Sharrock : chants de bataille
Photojournaliste de profession, Chloe Sharrock a couvert de nombreux conflits. Dans Il hurlait encore, la membre de l’agence MYOP...
07 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Visa pour l’image 2025 : récits d’un monde en crise
Des chèvres se tiennent près d’une maison alors que l’incendie de Thompson progresse à Oroville. 2 juillet 2024. © Josh Edelson / AFP
Visa pour l’image 2025 : récits d’un monde en crise
Du 30 août au 14 septembre 2025, Perpignan accueille la 37e édition de Visa pour l’image, le grand rendez-vous international du...
06 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
5 questions à Nyo Jinyong Lian : la fiction pour (re)faire société
Intrusion, de la série Trust Me © Nyo Jinyong Lian
5 questions à Nyo Jinyong Lian : la fiction pour (re)faire société
L’artiste chinoise Nyo Jinyong Lian, récemment diplômée des Beaux-Arts de Paris et lauréate du prix Jeunes Talents 2025 des Agents...
06 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
Metropolis III, 1987 © Beatrice Helg
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye nous invitent à porter un autre regard sur le monde selon des...
10 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
© Chiara Indelicato, Pelle di Lava
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
Exposée à la galerie Anne Clergue, à Arles, jusqu’au 6 septembre 2025, Pelle di Lava, le livre de Chiara Indelicato paru cette année chez...
09 août 2025   •  
Écrit par Milena III
Axelle Cassini : se rencontrer dans l'autre
Autoportrait © Axelle Cassini
Axelle Cassini : se rencontrer dans l’autre
Comment s’auto-représenter ? Quel lien entre image et identité ? Axelle Cassini, à travers son œuvre poétique et nuancée, explore ces...
08 août 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
© Charbel Alkhoury
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
Avec Not Here Not There, l’artiste visuel libanais Charbel Alkhoury propose un ouvrage bouleversant, à mi-chemin entre mémoire intime et...
08 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas