Fisheye: Qui es-tu ? Peux-tu te décrire en quelques mots ?
Audrey Dufer: J’ai grandi à Saint-Gratien, dans le Val d’Oise, et j’habite à Paris depuis 4 ans. J’ai fait des études de Lettres, puis d’édition, et aujourd’hui je travaille chez un éditeur de bandes dessinée et de livres pour la jeunesse, dans le digital et le web.
Comment es-tu devenue photographe ?
J’ai toujours été attirée par l’image et la photographie en particulier. Déjà petite, je compulsais les albums de famille, que ce soit les petites photos dentelées en noir et blanc de mes grands-parents ou les albums de mon enfance. Je crois que c’est mon côté nostalgique. Enfant, je prenais beaucoup de photos avec de petits appareils argentiques, des jetables, puis des numériques compacts. En 2011, j’ai reçu mon premier reflex, puis l’année suivante, mon père m’a légué son vieux Nikon F3. Depuis, la photo m’accompagne au quotidien, avec un penchant de plus en plus marqué pour l’argentique et le 50mm. J’ai suivi deux cycles de cours au centre Verdier pour connaitre les rudiments de cette discipline, mais j’ai encore beaucoup à apprendre.
Qu’est-ce que t’apporte la photographie ?
La photographie est pour moi une sorte d’exhausteur de vie, elle en relève le goût. C’est une pratique qui donne de l’adrénaline, comme un jeu. Grâce à elle tout est plus riche et plus beau : une grosse averse, l’attente dans une gare au fin fond du Kerala à cinq heures du matin… C’est un élan vers les autres, vers le monde extérieur. Parfois, aussi, un refuge.
A quoi penses-tu, lorsque tu as ton appareil entre les mains ?
Je perds encore du temps sur mes réglages, sur certains détails techniques parce que je ne suis pas tout à fait au point là-dessus. Je photographie en argentique, en ne prenant qu’une ou deux photos pour chaque scène, il ne faut pas se rater… Sinon, j’attends le bon moment, le bon cadrage, le rayon de soleil opportun, le petit détail qui fera le charme de ma photo. Ça peut virer à l’obsession !
Quelle est ton histoire avec le Vietnam ?
Mon père est originaire de ce pays et y a vécu les 32 premières années de sa vie. Depuis toujours je suis fascinée par le Vietnam parce qu’il fait partie de mon histoire familiale. J’ai longtemps été tenue assez éloignée de cette culture, de cette langue. Ce sont des choses douloureuses que le déracinement, les cicatrices et les silences qu’il en reste. Je me suis dit qu’avec la photo, je pourrais m’approprier tout cela différemment.
Je me suis donc rendue au Vietnam pour la première fois à 15 ans, puis une seconde fois à 20 ans. La dernière fois que j’y suis retournée, c’était en mai dernier. J’ai fait une traversée en train du nord au sud. J’ai voyagé entre la trépidente Hồ Chí Minh Ville et la paisible Hanoï. J’ai parcouru les majestueuses montagnes du nord, peuplées des ethnies des hauts plateaux, jusqu’au village de pêcheurs de Bai Huong, dans les îles Cham. En fait, j’ai voulu sublimer ce pays qui est dans mon cœur. J’aimerais continuer longtemps à photographier ce pays et ses habitants.
Tu as ramené de belles images de ce voyage en mai dernier: tu nous racontes ?
La rue Bùi Viện est l’une des artères principales du cœur du quartier des backpackers, à Hô-Chi-Minh-Ville. Autrement dit, c’est le lieu de prédilection des routards à petit budget. Le soir, des marchands ambulants proposent de cuisiner sur leurs petits réchauds montés sur roues. J’ai pris ces photos tard le soir. Je voulais capturer l’effervescence de cet endroit, son désordre un peu sombre, voire un peu glauque.
Ce quartier où les habitations s’alignent à un mètre des voies, se trouve non loin de la gare de Hanoï. J’en avais entendu parler avant le voyage et je tenais à m’y rendre, ça me semblait assez incroyable. Les cuisines des maisons donnent sur les rails, on y fait la vaisselle, on y brûle des détritus, on boit le café et fume la pipe sur le bord de la voie. Cette jeune femme, elle, se lavait les cheveux au grand air, sans se soucier de ma présence.
Cette photo a été prise dans la province de Hà Giang, sur la route qui mène au village de Dong Van. Ce sont des régions montagneuses moins touristiques que les montagnes de Sapa car plus reculées. De manière générale, les touristes, bien que présents, ne sont pas encore trop nombreux dans ces régions. J’ai arrêté la voiture un peu en contrebas du convoi, pour pouvoir prendre en photo cette petite gardienne de buffles. Elle a semblé surprise et amusée.
Les Lolo noirs sont une ethnie originaire du Yunnan, implantée dans les régions montagneuses de Chine, du Laos, de Thaïlande et du Vietnam. Ils font partie de la cinquantaine d’ethnies représentées au Vietnam. Ici, aux alentours de Bao Lac, les habitants ne portent plus leur tenue traditionnelle noire, brodée de couleurs vives, ni leur coiffe drapée. J’ai trouvé cette femme superbe. Elle nous surplombait du haut du talus, dans cette position si gracieuse. Mon père lui a demandé pour moi si je pouvais la prendre en photo. Elle a acquiescé et esquissé un sourire.
Le temple de la Montagne de Jade est situé au centre-est de Hanoï, sur le lac Hoan Kiem, baptisé également “Lac de l’épée restituée”. Une légende raconte qu’au XVème siècle, une tortue géante a émergé des eaux pour donner à l’empereur une épée afin de chasser les occupants chinois. C’est peut-être pour ça qu’il flotte sur le lieu un parfum de magie et de poésie…