Vincent Curutchet, 48 ans, a déambulé dans les quartiers incontournables de la capitale, durant le confinement. Son objectif ? Capturer un Paris vide, et angoissant.
Fisheye : Peux-tu me parler de ton parcours ?
Vincent Curutchet : J’ai été attiré très jeune par l’objet « appareil photo ». Je piquais ceux de mon père pour mimer sa gestuelle. À partir de 17 ans, j’ai eu envie de photographier les sports que je pratiquais – surf, skate, roller – j’ai donc acheté mon premier boîtier. Je voulais figer ces instants que l’œil perçoit, mais que la mémoire déforme. Aujourd’hui, à 48 ans, je suis photographe de sport, pour de grands événements, comme les Jeux olympiques, et je capture également la photo de voile, souvent en compétition.
De quelle manière travailles-tu ?
Produisant essentiellement des reportages, je ne crée aucun événement ni ne les mets en scène. J’essaie de réaliser des images graphiques, esthétiques, qui racontent l’histoire d’un moment. Je suis là, quelque part, essayant toujours de me faire oublier. Cette distance me va bien.
Comment as-tu vécu le confinement ?
Ce fut une sidération les deux premières semaines : quelque chose de fou, et de, pourtant, nécessaire. Confiné avec mon amie (pour la première fois !) je l’ai vécu avec beaucoup de douceur. Un contraste saisissant , face la peur et la souffrance que ressentent de nombreuses personnes, depuis le début de cette crise, au point que nous avons finalement du mal à pleinement embrasser le déconfinement…
Pourquoi avoir choisi de capturer les rues vides, durant cette période ?
Photographier un quotidien, même contrarié, ne marquait pas suffisamment et je n’étais pas à l’aise avec l’intimité. Bien que cette période ait été unique pour tout le monde, ce sont, selon moi, les rues vides qui témoignent de manière évidente de ce changement.
Originaire de Paris, je me suis confiné à Nantes, qui est une ville que je connais peu. Ses rues désertes ne me touchaient pas – j’entends par là que je n’avais pas de mémoire forte du lieu à opposer à cette nouvelle situation – c’est donc dans Paris, capitale toujours très active, que ce contraste était de loin le plus saisissant pour moi.
Comment as-tu pensé ta promenade dans Paris ?
J’avais en tête un cheminement intra-muros qui regroupait des endroits incontournables, symboliques, connus et ainsi frappants par leur dénuement inhabituel. Le confinement avait déjà commencé depuis cinq semaines lorsque j’ai pu me rendre à Paris. Je souhaitais vraiment ressentir ce vide, être « aspiré » par lui. Je dois avouer que c’était finalement moins le cas qu’escompté – l’activité existait quand même !
Que souhaitais-tu photographier ?
Une fois sur place, j’observais simplement les allées et venues des voitures, passants, policiers, joggeurs… Puis, une fois le cadrage trouvé, j’attendais le moment qui m’intéressait : un vide relatif. Je ne cherchais pas un néant total, car il n’est pas représentatif de la réalité, mais plutôt un équilibre entre le vide et la vie désormais masquée.
Tu as choisi de photographier Paris à 5m de hauteur, pourquoi ?
Au bout de cinq semaines d’enfermement, les sujets « rues vides » avaient déjà été traités mille fois. Lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai simplement réfléchi à ce que j’avais envie de créer. Je ne souhaitais pas documenter l’activité obligatoire de certains corps de métiers, par exemple, mais plutôt la notion de vide.
La hauteur d’homme écrase cette perspective : les hommes se retrouvent tous à la même hauteur. Les rues, les places occupent une trop petite partie de l’image. Naturellement m’est venue cette idée de voir le « plan sol » de plus haut. Pas de drone là-dedans – garder une hauteur réduite à peu près constante rendait la série plus cohérente.
Quelles émotions souhaitais-tu provoquer ?
Je me suis interrogé au sujet de l’angoisse. Si le mot me semblait fort, je cherchais néanmoins à provoquer cette émotion dans mes clichés. Elle m’apparaissait à tête reposée, en regardant les images sur l’ordinateur. Les nouvelles distances sociales aurait pu être l’épouvantable nom de cette série – un titre que je trouvais adapté lorsque je jouais à me faire peur.
Nous avons désormais pris un peu de recul face au confinement, l’angoisse me paraît moins présente, bien que la vue des gens masqués génère chez certains une peur importante. J’oscille désormais entre un fort rejet des événements qui nous ont fait en arriver là, et une certaine satisfaction de voir que la population est responsable, et se mobilise pour limiter un possible retour violent de l’épidémie.
La photographie t’a-t-elle aidé à bien vivre cette période ?
Être photographe est pour moi une chance d’être à des endroits et de vivre des moments privilégiés. Lorsque le confinement a démarré, je savais que je profiterais de cette occasion pour découvrir un Paris totalement transfiguré. La carte de presse m’a permis de déambuler comme je voulais dans la capitale, qui m’était entièrement, et sans aucune condition, accessible ! Pourquoi aurais-je raté cette occasion ? J’ai donc documenté à ma manière ce moment historique. Mon plus gros regret ? N’avoir eu que trois jours pour réaliser mon reportage. Une série comme celle-ci aurait mérité davantage de temps.
Un dernier mot ?
Je suis ravi d’avoir pu vivre ce Paris avec mon fils, devenu assistant-photographe et vidéaste pour l’occasion – et légalement ! Nous n’oublierons jamais ces instants privilégiés. Et malgré la souffrance ambiante, pesante, nous sommes ravis d’avoir eu notre Paris « privatisé ».
© Vincent Curutchet