Rencontrée à l’occasion de son projet sensible et documentaire, Mauvaises Herbes, Anaïs Ondet nous revient avec Sans Soleil. Un projet au long cours né à la suite de longues déambulations dans la nuit noire. Munie d’un regard, cette fois-ci plus intime et plasticien, la jeune photographe toulousaine nous conte une dystopie, bien proche de la réalité. Entretien.
Fisheye : Peux-tu te présenter ? Comment décrirais-tu ton univers?
Anaïs Ondet : Je suis photographe d’origine toulousaine, diplômée de l’ETPA en 2018. Aujourd’hui, je développe un travail dit d’auteur, mais également documentaire. J’aime mêler ces deux approches, car elles me sont complémentaires, et me permettent d’être ambivalente. Disons que mes sujets creusent toujours les notions de perte et de mémoire. J’ai réalisé des projets autour de la photographie de famille, mais également sur l’écologie. Je me rends compte qu’il y a une certaine nostalgie qui émane de mes projets. Ce sont toujours des choses portées par la mélancolie.
Qu’est-ce qui t’a poussé à initier Sans Soleil ?
Ce sujet est parti d’un sentiment, d’une émotion un peu diffuse en moi. Je faisais des photographies de paysages nocturnes urbains de manière instinctive et petit à petit le sujet a émergé. En fouillant ensuite dans mes archives, j’ai trouvé des portraits qui dialoguaient bien avec le reste de mes images. À partir de ce moment, j’ai capturé des portraits avec un protocole défini. Lorsque quelque chose me touchait et résonnait avec le projet, je le photographiais.
© Anaïs Ondet
De quoi parle-t-il exactement ?
Au commencement, il m’était difficile de poser des mots et un sujet dessus. Au bout de trois, quatre ans de travail, je peux dire que cela évoque, entre autres, l’écoanxiété, mais également la peur des technologies. Celle des dystopies de notre enfance, qui se réalisent aujourd’hui, les mêmes que l’on retrouve dans Black Mirror par exemple.
Tes modèles ont ce même regard perdu, voire désespéré. Leur demandais-tu de se mettre en scène ?
Au départ, ils savaient la thématique et essayaient de se mettre dans cet état d’esprit. Les portraits sont réalisés au néon. Quelques réflecteurs complètent l’éclairage. Cela créer une ambiance sombre et profonde. Mon processus de création étant calme et plutôt lent, mes sujets ont le temps de s’évader, d’aller se réfugier dans leur monde.
Pourquoi ce titre, Sans Soleil ?
Ce titre retranscrit une ambiance, une atmosphère dans laquelle on se trouve actuellement. Un climat pesant, où l’avenir est également bouché, sombre, où l’on ne peut voir ce qui se cache à l’horizon. L’idée que nos lendemains deviennent de plus en plus incertains.
© Anaïs Ondet
Et ton sous-titre « Errance dans la torpeur ? » rend compte de ton processus de création…
Oui, il décrit bien mes déambulations, celles qui composaient mon processus photographique. Il décrit aussi celle de mes portraits. Même si j’avais un protocole pré-établi, en termes de lumière et de disposition des éléments, artistiquement, je ne savais pas où j’allais. Mes modèles étaient eux aussi dans une sorte d’errance émotionnelle. Ensemble, on se laissait porter par le hasard, pour enfin réussir à faire quelque chose qui nous ressemble.
Dans Sans Soleil, tu questionnes la notion de l’intime. Pourquoi ?
Ici, j’étudie la dimension psychologique d’un fait de société. C’est en cela que Sans Soleil diffère des Mauvaises Herbes. Ce travail ne relève plus du documentaire. J’exprime mon sentiment et celui des personnes photographiées. Pour autant, je ne veux pas me faire la porte-parole d’une génération. L’intime ? C’était la forme qui me convenait le mieux. Je voulais partir d’une émotion propre, de l’intérieur, sans la traiter avec distance, pour parler de ce qu’il se passe à l’extérieur. Ensuite, en termes d’esthétique, je voulais quelle soit identique sur les images, j’avais envie de développer cette approche plasticienne.
Souhaites-tu nous commenter une image en particulier ?
C’est difficile de choisir parmi toutes ces photographies, mais il y en a deux que j’aime particulièrement. La première représente une jeune fille avec le crâne rasé. C’est l’une de mes premières images, la modèle a un regard qui nous interpelle. En termes de composition visuelle, je trouve que tout se détache assez bien. On peut facilement lire son visage et apercevoir son regard troublant. Quant à la deuxième image, j’ai choisi ce paysage nocturne où l’on distingue une porte illuminée dans un espace qui nous est complètement inconnu. Cette photographie me fait penser à David Lynch, une influence majeure pour cette série. J’aime son esthétique abstraite véhiculant une ambiance étrange et parfois angoissante.
Ce projet a-t-il calmé tes peurs et fait revenir le « soleil » ?
Non je ne pense pas. Disons que je ne fais pas de la photographie pour son effet cathartique. Cela ne m’a pas calmé, mais ce n’était pas le but. L’avenir est, selon moi, toujours aussi sombre. Il faudra simplement trouver d’autres perspectives, des chemins de traverse. Je pense toutefois que mes prochains projets seront plus lumineux, en tout cas je l’espère.
© Anaïs Ondet