« Éviter à tout prix la photo de famille classique »

10 avril 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Éviter à tout prix la photo de famille classique »

La famille de Matthew Avignone, photographe américain de 30 ans, est unique. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq frères et sœurs, tous venus de pays différents. Leur enfance, dans une petite ville des États-Unis, soulève bien des questions de la part des habitants. Stranger than Family illustre avec une grande affection, la normalité de cette famille exceptionnelle.

Fisheye : Comment la photographie est-elle entrée dans ta vie ?

Matthew Avignone :

J’ai découvert la photographie quand j’étais très jeune, grâce à un Polaroid, offert par ma mère. Une fois à l’université, alors que j’étudiais l’ingénierie mécanique, j’ai pris un cours de photo et je suis tombé amoureux du médium. Lorsqu’on commence, tout semble intéressant, et j’ai eu la chance d’avoir un professeur qui m’a poussé à l’exploration. Je me suis ensuite inscrit à Columbia College, à Chicago, une école d’art au cours de photo renommé.

Qu’aimes-tu photographier ?

Mes goûts ont évolué avec le temps. Toutes mes séries sont reliées par un thème commun : les gens et leur histoire. J’ai d’abord été intéressé par la représentation de l’humain. Ces deniers temps, c’est la spiritualité qui m’attire, l’invisible. J’aime travailler avec la nature et faire interagir avec elle des objets et des personnes.

Comment Stranger than Family a-t-il vu le jour ?

C’était tout d’abord un projet technique, qui a commencé avec sept portraits de ma famille. J’ai choisi de les photographier pour la simple raison qu’ils étaient à ma disposition, mais c’est en partageant les clichés avec mes camarades de classe, et lorsque leurs questions ont fusé – « Qui sont ces personnes ? » «  Pourquoi sont-ils tous d’origine différente ? » – que j’ai réalisé que ma famille était passionnante. Quatre mois plus tard, j’ai présenté le début de mon travail à l’un de mes professeurs, qui m’a poussé à continuer.

Tu as donc suivi son conseil ?

Oui, chaque week-end, je rentrais chez moi et je photographiais ma famille. Après un an de prises de vue, le projet a commencé à se développer. Composer mes images était un véritable défi, puisque nous vivions dans un ranch, avec un jardin qui donnait sur l’autoroute – un paysage qui ne me plaisait pas particulièrement. J’étais inspiré par l’ouvrage Pictures from Home, de Larry Sultan, qui avait incorporé différents documents dans son histoire, pour en faire un récit original. J’ai donc commencé à fouiller dans les vieilles photos de mes parents. Cela m’a aidé à raconter ma propre histoire. Finalement, l’écrire entièrement m’a pris quatre ans.

Ta famille est passionnante, comment s’est-elle formée ?

Ma mère a toujours rêvé d’être à la tête d’une grande famille. Mes parents ont longtemps essayé d’avoir un enfant, sans succès. Après plusieurs tentatives d’adoptions infructueuses aux États-Unis – les mères biologiques ont le droit de changer d’avis jusqu’au dernier instant – ils se sont tournés vers la Corée. En 1988, cependant, pendant les Jeux olympiques organisés dans le pays, la presse a laissé entendre que beaucoup d’enfants coréens étaient donnés à l’adoption. Vexée, la nation a alors considérablement baissé le nombre d’adoption d’enfants en bonne santé. Mes parents ont donc décidé de recueillir un bébé aux besoins particuliers.

© Matthew Avignone© Matthew Avignone

Ce passé atypique t’a-t-il influencé en tant que photographe ?

Grandir dans une petite ville américaine m’a plus influencé que l’originalité de ma famille. Lorsque j’étais jeune, j’observais mes amis, qui étaient tous blancs, et j’espérais pouvoir leur ressembler. Découvrir la photographie m’a aidé à assumer ma différence, et à l’utiliser dans mon travail.

Comment as-tu utilisé cette différence dans Stranger than Family ?

J’ai pris le rôle d’un détective, fouillant dans les souvenirs de ma famille à la recherche d’histoires. J’essayais de démêler le vrai du faux, en menant l’enquête. Il fallait que ma narration soit claire, à travers mes images. C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas respecter un ordre chronologique, d’ailleurs. J’ai pris la liberté de réarranger le passé, de jouer avec les clichés anciens, plus terre à terre, et les images contemporaines, plus libres.

Sur l’une des pages du livre, par exemple, on peut voir une photo de ma sœur Jamie, portant sa fille dans ses bras, et en face, un cliché de ma mère portant ma sœur Alicia de la même manière, une image très révélatrice, qui témoigne de l’amour maternel, qu’il soit lié par le sang ou non.

Comment as-tu rendu ce portrait de famille unique ?

Durant les quatre ans de création, mon approche photographique a évolué. Stranger than Family est composée de plusieurs formats différents : numérique, moyen format, compact… Tous ces changements ont donné des images aux styles différents, certains plus intuitifs que d’autres. Ils ont changé le ressenti des images. Ma famille a également été d’une grande aide, je pouvais les placer dans l’espace, leur dire de se tourner d’un côté ou d’un autre, tout en gardant un certain naturel.

Enfin, j’avais toujours en tête cette certitude qu’il fallait éviter à tout prix de réaliser une « photo de famille » classique !

© Matthew Avignone

© Matthew Avignone© Matthew Avignone
© Matthew Avignone© Matthew Avignone
© Matthew Avignone© Matthew Avignone

© Matthew Avignone

© Matthew Avignone© Matthew Avignone
© Matthew Avignone© Matthew Avignone

© Matthew Avignone

© Matthew Avignone

Explorez
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
© Claudia Revidat
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
Les sujets de Claudia Revidat et Sarah Carrier, nos coups de cœur de la semaine, se révèlent dans des teintes chaudes. La première...
16 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nicolas Serve : en cure et à cri
© Nicolas Serve
Nicolas Serve : en cure et à cri
Dans Les Abîmés, Nicolas Serve poursuit son travail sur la dépendance à certaines substances. Ici, il raconte la cure de désintoxication...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
22 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger