Du reportage à la mode: un numéro d’équilibriste

31 janvier 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Du reportage à la mode: un numéro d’équilibriste

Magnum Photos a accompagné des photojournalistes dans la réalisation de portfolios de mode. En proposant à Jérôme Sessini de troquer le reportage pour la haute couture, la prestigieuse agence présente l’univers singulier d’un artiste jonglant avec adresse entre deux disciplines.
 Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Tout a commencé par l’envie [que nous avons eue] d’aider les photographes de l’agence qui souhaitaient s’essayer à la photographie commerciale

, explique Nikandre Koukoulioti, responsable du développement et de la publicité chez Magnum. Nous avons donc débloqué un budget pour permettre aux artistes de faire leurs premiers pas dans le monde de la mode. Le premier a été Jérôme Sessini. » Le photojournaliste s’est rapidement pris au jeu. Avec l’aide de Nikandre Koukoulioti et Alexandra Mercuri, directrice artistique, Jérôme Sessini a construit une équipe de modèles, stylistes et maquilleurs, et tous se sont envolés pour une semaine à Athènes. Un périple créatif, durant lequel le photographe a réalisé deux portfolios, l’un mode, l’autre portrait. « Le marché de la mode a désespérément besoin de cela, affirme Alexandra Mercuri. D’un photographe venu d’un horizon différent, qui ne s’impose pas, qui attend que l’instant arrive. » Si Jérôme Sessini s’est lancé le premier, avec succès – un entretien à propos du projet a été publié par Vogue Italia en décembre dernier –, les photographes Moises Saman et Bieke Depoorter se sont déjà portés volontaires pour de nouvelles productions mode.

À son arrivée en Grèce, Jérôme Sessini a découvert un univers inexploré, exaltant. « C’était une autre manière de raconter des histoires, confie-t-il. Au cours de ce véritable travail d’équipe, chacun y mettait du sien pour que la qualité soit au rendez-vous, je n’étais jamais seul. » Habitué aux reportages, Jérôme Sessini a été confronté à une nouvelle difficulté: créer à partir de rien. Les premiers pas se sont faits à tâtons, ce fut « un numéro d’équilibriste, le croisement de genres très différents », précise la directrice artistique. « Son langage corporel était complètement différent de celui des photographes de mode, poursuit-elle. Les bras serrés, il shootait en rafale, essayant de capter l’instant. » Une différence que le photographe revendique : « Je n’ai pas changé ma façon de travailler, mon esthétique reste la même. Je souhaitais faire de la photo de mode qui ne ressemble pas à de la photo de mode. » Ses influences ? « Aucun artiste de cette discipline, justement, mais plutôt les tons doux et peu contrastés de Luc Delahaye [ancien photographe de guerre de Magnum ayant rompu avec les codes du photoreportage et aujourd’hui exposé en galerie, ndlr]. »

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

Se tourner vers l’autre

Jour après jour, le planning s’est mis en place. Après un repérage de deux jours dans la capitale grecque, les shootings se sont enchaînés, complétés par des réunions tardives, consacrées à l’apprentissage de l’éditing mode. « Nous terminions parfois à 5 heures du matin, se souvient Alexandra Mercuri. Chacun autour
de la table avait son propre univers, son propre bagage culturel : c’était très enrichissant. »

Le thème du portfolio s’est alors imposé, évident pour toute l’équipe : la solitude dans les grandes villes. « Nikandre et Alexandra voulaient travailler sur les métropoles et leur froideur, mais j’ai ajouté cette dimension de solitude, précise Jérôme Sessini. J’avais l’image d’un homme et d’une femme qui venaient d’achever une histoire d’amour. Tous deux ressentaient une sorte de souffrance, de nostalgie, et se croisaient sans jamais entrer en contact. » Comme dans une foule où chacun est seul. Essentielle à ce récit, la mannequin Bianca O’Brien, également comédienne et écrivaine, « s’est imposée naturellement, commente Alexandra Mercuri. Elle a immédiatement compris la démarche artistique de Jérôme ». Si le photographe a d’abord eu du mal à dialoguer avec Bianca, il s’est ensuite rapidement senti à l’aise. Ensemble, l’artiste et le modèle ont même quitté l’équipe toute une journée, afin de réaliser des images, seuls dans la capitale grecque.

Véritable virée dans l’inconnu, cette première expérience au sein de l’univers de la mode a convaincu le photographe. « Peu après, en déplacement au Mexique dans le cadre d’un reportage, Jérôme souhaitait faire des mises en scène sur place », confie Nikandre Koukoulioti. Après vingt ans de voyages et de documentaires, l’auteur apprend ainsi à jongler d’une discipline à l’autre. « Lorsqu’un photographe de mode se tourne vers le reportage, il s’agit d’une démarche solitaire, définitive. Le photojournaliste, lui, a ce besoin de se tourner vers l’autre », conclut la directrice artistique.

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

© Jérôme Sessini / Magnum Photos

Cet article est à retrouver dans Fisheye #34, en kiosque et disponible ici.

Explorez
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Sein und werden Être et devenir. FREELENS HAMBURG PORTFOLIO REVIEWS © Simon Gerliner
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
03 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Femmes et la mer : mondes liquides
© Louise A. Depaume, Trouble / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les Femmes et la mer : mondes liquides
Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l'été : Les femmes et la mer....
03 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #522 : la rentrée est de sortie
© Nicholas Ip / Instagram
La sélection Instagram #522 : la rentrée est de sortie
Annonçant la fin de l’été, le mois de septembre est pour beaucoup synonyme de rentrée. Source d’enthousiasme pour certain·es...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Lucie Donzelot
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Sein und werden Être et devenir. FREELENS HAMBURG PORTFOLIO REVIEWS © Simon Gerliner
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
03 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Femmes et la mer : mondes liquides
© Louise A. Depaume, Trouble / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les Femmes et la mer : mondes liquides
Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l'été : Les femmes et la mer....
03 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III