Fascinée par Ahmed, un « jeune en difficulté » qu’elle rencontre en 2017, Julie Joubert en fait le protagoniste de son ouvrage, Mido. Un portrait complexe parvenant à raconter, en images, le récit d’une vie touchante.
Ahmed. Mido. Une gueule, un regard de défi. Au cœur du livre de Julie Joubert, son protagoniste se dévoile sans jamais vraiment se révéler. Plonge ses yeux dans les nôtres, et contemple l’objectif avec provocation. Comme une invitation à le suivre, dans un imaginaire plus libre. Là où le corps s’émancipe, où la relation avec l’appareil photo permet de fantasmer sa vie, de se sortir d’un quotidien étouffant. De lui, on sait peu de choses. « Je l’ai rencontré en 2017 dans un centre de réinsertion pour jeunes en difficulté. Via les réseaux sociaux, nous nous sommes retrouvés deux ans plus tard. Il me raconte alors son histoire douloureuse et son rêve de devenir modèle », se souvient l’autrice, installée à Montreuil. Diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, celle-ci s’attache, à travers ses différents projets à s’emparer de thématiques sociales en soulignant, toujours, les nuances du réel. « L’aspect documentaire de mon travail écarte toute anecdote pour restituer l’essentiel : la fragilité de la présence humaine », précise-t-elle.
Un rapport à l’autre qui rythme ses rencontres avec Ahmed. Au fil du temps se noue un lien entre la photographe et le photographié. Une connexion forte qui instaure une confiance, une sincérité troublante. En deux ans, Julie Joubert réalise une soixantaine d’images. Autant de capsules qui permettent de figer son modèle, dans toute sa complexité. Une narration poussée, permettant à l’artiste de composer un portrait sensible, loin de la dureté des événements qu’il vit. Car si Ahmed est aujourd’hui incarcéré à la prison de la Santé, l’autrice refuse de laisser son enfermement le définir. « Ces éléments restent anecdotiques, les détailler me semble aller à l’encontre de ma démarche », déclare-t-elle.
L’histoire humaine
Numériques, jetables, smartphones, archives, photomatons… Dans Mido, Julie Joubert multiplie les moyens de captations, les formes d’expression. Des tons veloutés de néons lumineux aux clichés pixellisés envoyés par Ahmed depuis sa cellule, des clairs-obscurs picturaux à la brutalité du flash, les multiples visages du protagoniste apparaissent, s’effacent, se répondent au fil des pages. « D’une réalité fantasmée à l’enfermement bien réel, de la fiction à l’abstraction, les différentes qualités d’images accompagnent chacun des aspects de sa vie. Comme un miroir fragmenté, elles dressent le portrait de ce jeune en devenir, qui se cherche encore et toujours dans une société où il peine à trouver sa place », explique la photographe. Une honnêteté déroutante s’échappe des portraits. Sans jamais chercher à briser le contact avec l’autrice, le rapport à l’objectif, Ahmed joue avec sa propre image, s’entraîne à devenir modèle. Un métier qui éveille en lui un désir intense d’évasion – comme une manière de parvenir, enfin, à se hisser hors d’un environnement oppressant. « C’est pour lui une façon de briller, un moyen d’échapper à sa condition », ajoute Julie Joubert.
Et c’est justement cette rage de vivre qui transparaît des photographies de Mido. Jouant avec la netteté, l’âpreté du grain, la dureté du flash, l’artiste laisse apparaître les failles, comme une métaphore de la vulnérabilité de son héros, et de la fragilité de son quotidien. Une réalité poignante, contrastée par la douceur d’étreintes amicales, ou les zooms texturés sur ses vêtements, tandis qu’il s’habille et se dévêt. Il y a quelque chose d’universel dans les doutes et les errances d’Ahmed. Une quête de sens, une envie de réussir qui ne peut que nous parler. En se concentrant sur son protagoniste au parcours sinueux, Julie Joubert parvient en contrepoint à raconter l’histoire d’une communauté, l’histoire humaine.
Mido, KAHL Éditions, 45€, 108 p.
© Julie Joubert