L’errance incarnée par Alison McCauley

10 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
L'errance incarnée par Alison McCauley
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, un buste de femme , son visage est flou comme s'il était à la surface de l'eau
© Alison McCauley, Anywhere But Here

Avec Anywhere But Here (« Partout sauf ici », en français), Alison McCauley signe un livre d’une grande justesse émotionnelle. Par une photographie intuitive, elle donne forme au trouble de ne jamais se sentir tout à fait à sa place.

« Je pense que le rythme de vie actuel et l’instabilité qui règne au cœur de nombreuses régions du globe font que beaucoup de personnes se sentent déracinées », assure Alison McCauley. Originaire de Grande-Bretagne, cette artiste installée dans le sud de la France après de nombreux déménagements a fait de l’errance un mode de vie, mais aussi un langage visuel. Son regard s’est d’abord formé à la peinture, qu’elle a fini par quitter, trop solitaire, pour se tourner vers la photographie. Anywhere But Here, paru chez Photo Editions en 2021, rassemble des clichés pris entre 2008 et 2021, et parcourt ainsi le temps et l’espace. « Travailler sur ce projet à long terme m’a aidée à accepter d’avoir dû quitter certaines personnes et certains lieux, raconte-t-elle avec lucidité. Cela m’a également permis de mieux comprendre le lien entre photo et mémoire. » C’est que, contrairement à cette dernière, qui s’accroche au passé, le 8e art crée une version physique de ces souvenirs. « Une fois que les images existent, je me sens moins accablée par le besoin de les préserver consciemment et plus libre de simplement les vivre lorsqu’elles refont surface », poursuit-elle. On pense à la première de couverture, où un visage flou, qui semble effacé par le temps ou le doute, émerge dans un décor urbain, presque comme une apparition.

image en noir et blanc floue d'une personne allongée au sol dans l'obscurité
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, juxtaposition d'une image de chambre éclairée par-dessus une image d'autoroute
© Alison McCauley, Anywhere But Here
Photo Editions Ltd.
108 pages
55 €

Une transformation intime 

Au fil des années, ce projet s’est transformé pour son autrice. Cette impression étrange de ne jamais être au bon endroit, d’être perpétuellement en agitation, qu’elle exprime si puissamment à travers ses images, est passée de ce qu’elle considérait auparavant comme une forme d’instabilité à une pulsion créative, voire une manière d’exister. « Au fur et à mesure que le projet avançait, j’ai commencé à comprendre la force créatrice que cette recherche perpétuelle me procurait, confie-t-elle. C’est une prise de conscience qui m’a apporté un certain réconfort dans ma façon agitée d’être au monde et m’a permis de m’épanouir tant sur le plan photographique que personnel. » En ce sens, c’est le premier projet qui lui semble totalement juste et honnête. Dans l’une des images d’Anywhere But Here, une chambre baignée de lumière se confond avec un paysage de montagnes, comme si l’espace intime et le dehors se superposaient dans un même désir de fuite – brouillant du même coup les repères entre le rêve et la réalité.

 La force du livre d’Alison McCauley réside aussi dans le fait qu’elle ne parle pas seulement d’elle-même mais capte une expérience partagée par beaucoup d’individus à travers le monde : « Les gens déménagent pour le travail, pour leur famille ou parce qu’ils ont dû quitter leur foyer. Ce type de déracinement peut créer un sentiment profond d’absence d’ancrage, souvent non exprimé », analyse-t-elle. Cette solitude commune se manifeste par des sujets isolés la plupart du temps – un arbre, une ombre… – , associés à un monochrome brumeux et mélancolique. « Pour moi, le noir et blanc éloigne l’œuvre de la réalité et la rapproche d’un espace émotionnel ou subjectif, répond-elle. Sur le plan pratique, il m’a aussi permis de garder un langage cohérent tout au long des nombreuses années consacrées à la série. »  Fidèle à son titre, l’ouvrage se construit autour de la tension entre l’absence et la présence : vouloir être autre part sans jamais savoir où. Un cliché montre un canapé vide sous un tableau représentant un chemin au milieu d’une forêt, comme une invitation vers une direction mystérieuse. Les photographies, évidemment, n’indiquent ni lieux ni dates. Grâce à un langage souvent flou et qui cultive l’ambiguïté, Alison McCauley ancre son œuvre dans un espace mental et dépeint quasiment une forme de déréalisation : « Le monde semble irréel lorsqu’on le regarde avec ce sentiment constant d’être ailleurs », décrit-elle. 

image en noir et blanc floue d'une jeune fille en robe blanche
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, un arbre au milieu d'une plaine auprès duquel on distingue deux silhouettes humaines
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc d'une forêt
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, une figure féminine floue est au premier plan, derrière un paysage montagneux de nuit
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, une nuée d'oiseaux volent près d'un immeuble
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, une silhouette sur une route dans le brouillard
© Alison McCauley, Anywhere But Here
image en noir et blanc, juxtaposition d'une image de chambre allumée par-dessus une image de paysage montagneux
© Alison McCauley, Anywhere But Here
À lire aussi
Frédéric D. Oberland : la victoire de l'invisible
© Frédéric D. Oberland
Frédéric D. Oberland : la victoire de l’invisible
À la fois compositeur multi-instrumentiste et artiste visuel, Frédéric D. Oberland raconte des histoires de tourmente et de…
05 octobre 2024   •  
Écrit par Milena III
Francisco Gonzalez Camacho : splendeur d'appartenir
© Francisco Gonzalez Camacho
Francisco Gonzalez Camacho : splendeur d’appartenir
« J’aime voir le monde d’un point de vue photographique. En ce sens, je m’identifie beaucoup à Garry Winogrand (photographe américain…
10 mai 2024   •  
Écrit par Milena III
Explorez
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Gabrielle Ravet : de l'autre côté du poster, la ferveur des fans
© Gabrielle Ravet
Gabrielle Ravet : de l’autre côté du poster, la ferveur des fans
Entre New York et les salles de concert, la photographe française Gabrielle Ravet explore les communautés de fans comme on scrute une...
28 octobre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Marianne et Ebba, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Parmi les photographes qui travaillent autour des archives, un certain nombre s’intéresse aux images qui pourraient figurer, si ce n’est...
25 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Peinture, coulée d'or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Zoé Bleu Arquette. Une nuit étoilée, 2025 © Rose Mihman
Peinture, coulée d’or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici proposent de découvrir la photographie à travers différentes techniques...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Touches d’aquarelle, Brésil et festival : nos coups de cœur photo d’octobre 2025
© Cloé Harent, Residency InCadaqués 2025
Touches d’aquarelle, Brésil et festival : nos coups de cœur photo d’octobre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet