Avec Anywhere But Here (« Partout sauf ici », en français), Alison McCauley signe un livre d’une grande justesse émotionnelle. Par une photographie intuitive, elle donne forme au trouble de ne jamais se sentir tout à fait à sa place.
« Je pense que le rythme de vie actuel et l’instabilité qui règne au cœur de nombreuses régions du globe font que beaucoup de personnes se sentent déracinées », assure Alison McCauley. Originaire du Canada, cette artiste installée dans le sud de la France après de nombreux déménagements a fait de l’errance un mode de vie, mais aussi un langage visuel. Son regard s’est d’abord formé à la peinture, qu’elle a fini par quitter, trop solitaire, pour se tourner vers la photographie. Anywhere But Here, paru chez Photo Editions en 2021, rassemble des clichés pris entre 2008 et 2021, et parcourt ainsi le temps et l’espace. « Travailler sur ce projet à long terme m’a aidée à accepter d’avoir dû quitter certaines personnes et certains lieux, raconte-t-elle avec lucidité. Cela m’a également permis de mieux comprendre le lien entre photo et mémoire. » C’est que, contrairement à cette dernière, qui s’accroche au passé, le 8e art crée une version physique de ces souvenirs. « Une fois que les images existent, je me sens moins accablée par le besoin de les préserver consciemment et plus libre de simplement les vivre lorsqu’elles refont surface », poursuit-elle. On pense à la première de couverture, où un visage flou, qui semble effacé par le temps ou le doute, émerge dans un décor urbain, presque comme une apparition.
108 pages
55 €
Une transformation intime
Au fil des années, ce projet s’est transformé pour son autrice. Cette impression étrange de ne jamais être au bon endroit, d’être perpétuellement en agitation, qu’elle exprime si puissamment à travers ses images, est passée de ce qu’elle considérait auparavant comme une forme d’instabilité à une pulsion créative, voire une manière d’exister. « Au fur et à mesure que le projet avançait, j’ai commencé à comprendre la force créatrice que cette recherche perpétuelle me procurait, confie-t-elle. C’est une prise de conscience qui m’a apporté un certain réconfort dans ma façon agitée d’être au monde et m’a permis de m’épanouir tant sur le plan photographique que personnel. » En ce sens, c’est le premier projet qui lui semble totalement juste et honnête. Dans l’une des images d’Anywhere But Here, une chambre baignée de lumière se confond avec un paysage de montagnes, comme si l’espace intime et le dehors se superposaient dans un même désir de fuite – brouillant du même coup les repères entre le rêve et la réalité.
La force du livre d’Alison McCauley réside aussi dans le fait qu’elle ne parle pas seulement d’elle-même mais capte une expérience partagée par beaucoup d’individus à travers le monde : « Les gens déménagent pour le travail, pour leur famille ou parce qu’ils ont dû quitter leur foyer. Ce type de déracinement peut créer un sentiment profond d’absence d’ancrage, souvent non exprimé », analyse-t-elle. Cette solitude commune se manifeste par des sujets isolés la plupart du temps – un arbre, une ombre… – , associés à un monochrome brumeux et mélancolique. « Pour moi, le noir et blanc éloigne l’œuvre de la réalité et la rapproche d’un espace émotionnel ou subjectif, répond-elle. Sur le plan pratique, il m’a aussi permis de garder un langage cohérent tout au long des nombreuses années consacrées à la série. » Fidèle à son titre, l’ouvrage se construit autour de la tension entre l’absence et la présence : vouloir être autre part sans jamais savoir où. Un cliché montre un canapé vide sous un tableau représentant un chemin au milieu d’une forêt, comme une invitation vers une direction mystérieuse. Les photographies, évidemment, n’indiquent ni lieux ni dates. Grâce à un langage souvent flou et qui cultive l’ambiguïté, Alison McCauley ancre son œuvre dans un espace mental et dépeint quasiment une forme de déréalisation : « Le monde semble irréel lorsqu’on le regarde avec ce sentiment constant d’être ailleurs », décrit-elle.