En 2022 – dans Fisheye n°53 – nous avons publié Until Dawn, commande de Devin Yalkin pour le New York Times. Une plongée sulfureuse dans un antre vampirique moderne. C’est pourtant loin de ces soirées érotiques en plein cœur de la Grosse Pomme que l’auteur trouve désormais l’inspiration. Avec Alone Together, il signe un projet plus intime, inspiré par son confinement loin de la ville. Une œuvre qui lui a valu deux expositions récentes, en octobre 2022 et en mai 2023. Aujourd’hui, il alterne entre ces identités complémentaires en préparant la sortie de deux ouvrages : l’un sur la communauté de vampires, et l’autre sur son travail personnel.
En mars 2020, j’ai laissé derrière moi le chaos de New York pour me reposer auprès de ma famille, dans le South Jersey. J’ignorais alors que cette décision allait profondément altérer aussi bien ma vie intime que ma vision artistique », confie Devin Yalkin. Alors que le monde entier s’enferme pour combattre le virus qui le ravage, que les rues deviennent interdites au public et que les villes se transforment en masses fantomatiques surréalistes, le photographe américain s’immerge dans la nature pour passer son confinement loin des cloisons de béton suffocantes. Là-bas, dans le silence apaisant de la campagne, il ouvre les yeux sur un environnement dont il avait oublié la beauté. «Durant cette quarantaine, j’ai refusé des commandes. Cela m’a permis de m’éloigner de l’intensité urbaine. Cette période solitaire m’a offert une pause méritée, tout en me permettant d’explorer mon approche photographique de manière inédite. J’ai plongé dans l’essence même du médium, en m’exprimant enfin. La quiétude, la tranquillité de l’endroit où je me trouvais sont devenues des sources d’inspiration infinies. Elles m’ont rendu plus sensible au charme des rituels quotidiens, à la splendeur de la simplicité », raconte l’artiste.
La silhouette d’une araignée tissant sa toile, la main d’un enfant caressant un filet, les vols d’oiseaux passant en ombre chinoise devant la lune, un visage ridé se réfugiant à l’ombre d’un mur frais… Jouant avec les échelles comme avec les contrastes, Devin Yalkin use de son esthétique unique pour raconter l’ordinaire. En pleine nature, les insectes se font abstraits, les embrassades intenses, les jeux de lumière dramatiques, comme si l’émotion même des choses s’altérait, loin de la précipitation citadine. Inspiré par ces sensations à fleur de peau, le photographe s’emploie à figer des fragments, des fulgurances qui habitent son esprit – à la manière d’un grain de pollen qui traverserait, au gré du vent, son champ de vision. Ainsi, dans un monochrome caractéristique, il érige un monde à part, révélant « le lien mystique qui unit l’humain à son environnement ». Intuitives, harmonieuses, les images convoquent simultanément l’atmosphère d’un film noir muet où les états d’âme se lisent sur les corps et les visages, et la sensation étrange d’appartenir à un tout atemporel. Privées de couleur, elles reflètent le réel comme le fantasme, chantent les louanges d’une brise printannière ou du rire d’un enfant. « Je voulais rendre hommage à cette symbiose que j’ai ressentie dans ce lieu. Sans travail ni distraction, j’ai accédé à un niveau de conscience supérieur. J’ai vécu pleinement chaque petit moment. J’ai observé la lente et magnifique évolution de la planète – et de ma vie », explique Devin Yalkin. Une expérience inespérée, qu’il vit comme une véritable révélation : « J’ai compris que l’art véritable n’est pas seulement réservé à l’illustration d’événements historiques, mais peut aussi surgir d’une narration plus personnelle, tournée vers l’intime », conclut-il. Un récit fait d’échanges de regards, de larmes nostalgiques, de sourires entendus et de solitude acceptée.