Anouk Durocher : portrait d’une révolution intime

08 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Anouk Durocher : portrait d'une révolution intime
© Anouk Durocher
Maquillage
© Anouk Durocher

Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l’approche documentaire en mêlant différents médiums, notamment le son et l’image. La série qu’elle présente, Alter Ego Fantasy, raconte l’histoire de Bissi, un·e ami·e qui vit sa transition. Ce·tte dernier·ère l’a laissée retracer son parcours de transformation intime en donnant vie à un récit puissant.

Anouk Durocher fait partie des jeunes photographes qui prennent part à Circulation(s) 2025. Sa série Alter Ego Fantasy, récit libérateur sur la transition d’une personne proche, a frappé notre imaginaire. Anouk commence son parcours en tant que journaliste en s’intéressant aux voix des marges et aux histoires absentes de la presse grand public. Elle a collaboré avec des médias culturels pointus comme Arte ou Manifesto XXI. Si la photographie est d’abord un support amateur, elle en comprend vite le potentiel narratif. Elle réalise que les images offrent la possibilité de raconter ce qui est impossible à expliquer. Que la façon même de faire de la photographie contribue, ou pas, à rendre justice à ces corps qu’on n’ose pas montrer. Elle entame alors une formation auprès de l’Agence Vu’, lors d’un programme d’accompagnement d’un an avec le photographe Guillaume Herbaut. L’objectif ? Apprendre à composer des archives visuelles et à développer une véritable approche documentaire. 

Le projet qu’elle présente à Circulation(s) naît de cette expérience en agence. « Je me sens proche du documentaire, c’est vraiment quelque chose que j’ai envie d’explorer. J’aime bien, aussi, le fait de mêler différents médiums », explique-t-elle. Le documentaire intime s’impose comme une chance d’exprimer une créativité insoupçonnée qui pourtant fait partie intégrante du métier de journaliste. Ainsi, avec Alter Ego Fantasy, elle navigue entre les pratiques pour donner corps à l’histoire de son ami·e Bissi, en plein questionnement identitaire. « Quand j’ai commencé à fréquenter les communautés queers bruxelloises, j’ai eu une révélation intime et visuelle. » La photographe décrit sa rencontre avec ses adelphes queers comme une épiphanie, une révélation au monde. L’envie surgit alors d’arpenter les nuits avec ces elleux et de cristalliser ces évolutions et ces métamorphoses salvatrices en photographie.

Artiste de pole dance
© Anouk Durocher
Pole dance
© Anouk Durocher
cadre avec papillon et fleurs
© Anouk Durocher

Des devenirs multiples que l’on embrasse

Bissi vit à Bruxelles depuis de nombreuses années. Là-bas, iel déploie son art en tant que performeur·euse, principalement autour de la pole dance, même si ses explorations artistiques le·a mènent aussi vers le slam, la danse et d’autres formes d’expression scénique. Ses moyens d’expression varient, mais la pole reste au cœur de sa démarche. C’est autour de cet axe qu’iel a construit une identité singulière, traversée par des références lesbiennes, queer et profondément ancrée dans une mémoire collective. « L’exposition que nous avons imaginée ensemble traduit cette complexité. Elle mêle des photographies que j’ai réalisées à des collages qu’iel avait créés de son côté, raconte Anouk. J’ai senti très vite qu’il me serait difficile de capter certains aspects de son univers uniquement à travers mon objectif. Il y avait des éléments que seules ses propres mises en scène rendaient visibles. Alors j’ai commencé à explorer son compte Instagram. J’y ai trouvé une matière précieuse, un langage visuel qui disait beaucoup sur la manière dont iel choisit de se présenter, sur le regard qu’iel adresse au monde. »

Ce tiraillement entre exposition de soi et intériorité traverse toute la série en abordant plusieurs enjeux : les récits de formation identitaire, les seuils vers l’âge adulte, particulièrement lorsqu’on grandit en tant que personne queer. Ensemble, les deux ami·es explorent les bifurcations, les réinventions, tout ce que l’on doit désapprendre, les rôles à déconstruire et les devenirs multiples qu’il s’agit d’accueillir : « Faire dialoguer ses autoportraits numériques avec mon regard de proche. Tracer une constellation de fragments, à la croisée du témoignage et de la collaboration. » Dans l’exposition sont présentés des poèmes de Bissi qui viennent souligner comment cette amitié a été fondamentale pour que la photographe découvre l’univers queer. « C’est ce que raconte Alter Ego Fantasy. Un miroir à facettes entre deux subjectivités, entre des trajectoires parallèles. Un refuge où déposer nos incertitudes, nos recommencements, nos élans. Une chambre d’échos où se racontent les expériences rares – celles qui transforment en profondeur. Iel a pris des chemins plus radicaux que les miens, des décisions que j’admire. Et moi, à ses côtés, j’ai observé ses métamorphoses avec tendresse, avec respect. J’ai voulu en garder une trace. Car ces espaces de complicité sont précieux. Et je crois qu’ils méritent d’être célébrés. »

Portrait devant la mer
© Anouk Durocher
Corps en mouvement
© Anouk Durocher

À lire aussi
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
© Kianuë Tran Kiêu
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
Kianuë Tran Kiêu fait de l’art un espace de connexion et de transmission où la vulnérabilité devient une force. Chaque projet est une…
24 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Jean Ranobrac : des imaginaires queers iconiques
© Jean Ranobrac
Jean Ranobrac : des imaginaires queers iconiques
Jean Ranobrac est artiste et photographe. Magicien de la retouche, il est connu pour ses univers queers déjantés. Après avoir arpenté les…
22 janvier 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Batul : Transitionner pour se retrouver
© Paul Mesnager
Batul : Transitionner pour se retrouver
Portrait intimiste, Batul suit le voyage initiatique d’une protagoniste dans sa transformation radicale – de genre et de religion – suite…
11 décembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Gabrielle Ravet : de l'autre côté du poster, la ferveur des fans
© Gabrielle Ravet
Gabrielle Ravet : de l’autre côté du poster, la ferveur des fans
Entre New York et les salles de concert, la photographe française Gabrielle Ravet explore les communautés de fans comme on scrute une...
28 octobre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Marianne et Ebba, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Parmi les photographes qui travaillent autour des archives, un certain nombre s’intéresse aux images qui pourraient figurer, si ce n’est...
25 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Peinture, coulée d'or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Zoé Bleu Arquette. Une nuit étoilée, 2025 © Rose Mihman
Peinture, coulée d’or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici proposent de découvrir la photographie à travers différentes techniques...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Touches d’aquarelle, Brésil et festival : nos coups de cœur photo d’octobre 2025
© Cloé Harent, Residency InCadaqués 2025
Touches d’aquarelle, Brésil et festival : nos coups de cœur photo d’octobre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet