Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l’approche documentaire en mêlant différents médiums, notamment le son et l’image. La série qu’elle présente, Alter Ego Fantasy, raconte l’histoire de Bissi, un·e ami·e qui vit sa transition. Ce·tte dernier·ère l’a laissée retracer son parcours de transformation intime en donnant vie à un récit puissant.
Anouk Durocher fait partie des jeunes photographes qui prennent part à Circulation(s) 2025. Sa série Alter Ego Fantasy, récit libérateur sur la transition d’une personne proche, a frappé notre imaginaire. Anouk commence son parcours en tant que journaliste en s’intéressant aux voix des marges et aux histoires absentes de la presse grand public. Elle a collaboré avec des médias culturels pointus comme Arte ou Manifesto XXI. Si la photographie est d’abord un support amateur, elle en comprend vite le potentiel narratif. Elle réalise que les images offrent la possibilité de raconter ce qui est impossible à expliquer. Que la façon même de faire de la photographie contribue, ou pas, à rendre justice à ces corps qu’on n’ose pas montrer. Elle entame alors une formation auprès de l’Agence Vu’, lors d’un programme d’accompagnement d’un an avec le photographe Guillaume Herbaut. L’objectif ? Apprendre à composer des archives visuelles et à développer une véritable approche documentaire.
Le projet qu’elle présente à Circulation(s) naît de cette expérience en agence. « Je me sens proche du documentaire, c’est vraiment quelque chose que j’ai envie d’explorer. J’aime bien, aussi, le fait de mêler différents médiums », explique-t-elle. Le documentaire intime s’impose comme une chance d’exprimer une créativité insoupçonnée qui pourtant fait partie intégrante du métier de journaliste. Ainsi, avec Alter Ego Fantasy, elle navigue entre les pratiques pour donner corps à l’histoire de son ami·e Bissi, en plein questionnement identitaire. « Quand j’ai commencé à fréquenter les communautés queers bruxelloises, j’ai eu une révélation intime et visuelle et j’ai eu envie de tisser la trame d’un conte. » La photographe décrit sa rencontre avec ses adelphes queers comme une épiphanie, une révélation au monde. L’envie surgit alors d’arpenter les nuits avec ces elleux et de cristalliser ces évolutions et ces métamorphoses salvatrices en photographie.
Des devenirs multiples que l’on embrasse
Bissi vit à Bruxelles depuis de nombreuses années. Là-bas, iel déploie son art en tant que performeur·euse, principalement autour de la pole dance, même si ses explorations artistiques le·a mènent aussi vers le slam, la danse et d’autres formes d’expression scénique. Ses moyens d’expression varient, mais la pole reste au cœur de sa démarche. C’est autour de cet axe qu’iel a construit une identité singulière, traversée par des références lesbiennes, queer et profondément ancrée dans une mémoire collective. « L’exposition que nous avons imaginée ensemble traduit cette complexité. Elle mêle des photographies que j’ai réalisées à des collages qu’iel avait créés de son côté, raconte Anouk. J’ai senti très vite qu’il me serait difficile de capter certains aspects de son univers uniquement à travers mon objectif. Il y avait des éléments que seules ses propres mises en scène rendaient visibles. Alors j’ai commencé à explorer son compte Instagram. J’y ai trouvé une matière précieuse, un langage visuel qui disait beaucoup sur la manière dont iel choisit de se présenter, sur le regard qu’iel adresse au monde. »
Ce tiraillement entre exposition de soi et intériorité traverse toute la série en abordant plusieurs enjeux : les récits de formation identitaire, les seuils vers l’âge adulte, particulièrement lorsqu’on grandit en tant que personne queer. Ensemble, les deux ami·es explorent les bifurcations, les réinventions, tout ce que l’on doit désapprendre, les rôles à déconstruire et les devenirs multiples qu’il s’agit d’accueillir : « Faire dialoguer ses autoportraits numériques avec mon regard de proche. Tracer une constellation de fragments, à la croisée du témoignage et de la collaboration. » Dans l’exposition sont présentés des poèmes de Bissi qui viennent souligner comment cette amitié a été fondamentale pour que la photographe découvre l’univers queer. « C’est ce que raconte Alter Ego Fantasy. Un miroir à facettes entre deux subjectivités, entre des trajectoires parallèles. Un refuge où déposer nos incertitudes, nos recommencements, nos élans. Une chambre d’échos où se racontent les expériences rares – celles qui transforment en profondeur. Iel a pris des chemins plus radicaux que les miens, des décisions que j’admire. Et moi, à ses côtés, j’ai observé ses métamorphoses avec tendresse, avec respect. J’ai voulu en garder une trace. Car ces espaces de complicité sont précieux. Et je crois qu’ils méritent d’être célébrés. »