Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque, tout en mettant en lumière des événements notoires du passé. Des préoccupations au cœur, également, du journalisme. C’est d’ailleurs cette profession qui a d’abord attiré – et parfois frustré – Laia Abril, Fabiola Ferrero, Maude Girard, Andréa Sena, Seba Kurtis et Sophie Alyz.
Recherches, études et preuves à l’appui
« Je suis devenue journaliste à cause de ma personnalité et de ma compréhension du monde. Je me suis tournée vers l’art faute d’avoir trouvé des réponses », nous confiait Laia Abril lors d’une interview, en juin dernier. Journaliste de profession, la photographe espagnole n’a jamais souhaité exclure les textes de sa pratique artistique. Inscrivant son travail dans un engagement féministe (abordant notamment les thématiques du viol, de l’avortement et de l’hystérie de masse, ndlr), elle ne cesse d’illustrer ses recherches minutieuses et de collecter les témoignages comme autant d’éléments nourrissant ses projets. De ce travail acharné émerge une œuvre poignante aux images coups de poing nous forçant à voir ce que les mots, parfois, dans les médias, dissimulent.
Un combat mené, en parallèle, par Fabiola Ferrero. En 2022, la photojournaliste, lauréate du Prix Carmignac de la même année, avait présenté, à PhotoSaintGermain, Venezuela, The wells run dry. Un portrait cinglant de son pays d’origine, gangréné par la corruption, l’hyperinflation, les nombreuses pénuries, et les protestations violemment réprimées. Entre deux temporalités – passé et présent –, ses études approfondies comme une ponctuation implacable, l’autrice était parvenue, avec brio, à rendre compte de la nostalgie d’une prospérité perdue, d’une innocence fantasmée et l’actualité d’un désespoir auquel les habitant·es ne peuvent échapper.
Une approche expressionniste du réel
« Quand j’ai eu 16 ans (…) j’ai compris que je voulais raconter des histoires par les mots et l’image. Pendant toute la durée de mes études [en journalisme], j’ai essayé de faire de la photographie rationnelle, compréhensible et factuelle. Et puis j’ai bifurqué », relate Maude Girard. S’affranchissant d’une simple représentation du réel, l’autrice décide finalement de suivre son lien premier à l’image, « un mélange de ce qui est et de comment [elle] le ressent », dans La Brûlure, un projet ancré dans une actualité alarmante : la destruction de 66 000 hectares par les incendies. Sensible à l’urgence écologique, elle fait de ses images des pièces écarlates, où flamboient les détails d’une nature mourante. Un tableau fragmenté aux nuances incandescentes nous rappelant sans peine les conséquences d’un tel désastre.
Dans la nuit noire, sous les projecteurs de soirées clandestines, c’est à coup de flash qu’Andréa Sena capture quant à elle la jeunesse ukrainienne en pleine résistance. Partie pour compléter une enquête, en vue d’écrire un ouvrage journalistique imagé, l’artiste se retrouve confrontée à la communauté underground et queer de Kiev, envisageant la fête comme un acte de résistance, un doigt d’honneur à Vladimir Poutine. Dans une esthétique marquée, presque expressionniste, elle renie alors toute sobriété pour dire, ressentir, faire éclater l’énergie qui émane des espaces qu’elle fréquente. « Ces histoires engagent et, vu notre climat géopolitique, elles seront toujours d’actualité », affirme-t-elle.
S’affranchir de l’écriture journalistique pour témoigner
Fils d’une mère italienne et d’un père grec, Seba Kurtis est contraint de fuir l’Argentine où il est né pour s’installer en Espagne en 2001, abandonnant en parallèle – puisque devenu immigrant illégal – ses études en journalisme pour travailler sur des chantiers. Un changement radical qui semble infuser ses créations visuelles. Dans Chemical Reaction, l’artiste s’intéresse aux agents neurotoxiques, utilisant des procédés chimiques venant abîmer, ronger, corrompre ses images de la même manière que ces derniers dégradent le corps humain. Un travail plasticien à la beauté vénéneuse dont les nuances capiteuses interrogent, en contrepoint, « l’impunité d’actes terribles et la facilité avec laquelle nous oublions », rappelle-t-il.
Paysages colorés, ailes déployées, portraits d’oiseaux comme des aquarelles… Derrière la poésie de Beak se cache un véritable engagement. Ancienne journaliste, Sophie Alyz se tourne vers le 8e art lorsque « pour une raison qu’[elle] ignore, il [lui] est devenu très difficile d’écrire ». Préférant s’éloigner des marqueurs de sa précédente profession, elle imagine, dans ses projets personnels, des univers délicats marqués par ses propres combats. Ici ? La disparition des oiseaux des villes et campagnes. Un changement catastrophique qu’elle traite pourtant avec une douceur surprenante. « Une manière de rendre la réalité un peu plus supportable », nous explique-t-elle dans son épisode de Focus.