Expertes du marché et actrices du changement, les fondatrices et directrices de galeries œuvrent pour un monde photographique plus paritaire, où s’érigent individualité, originalité et female gaze.
« Les femmes étaient des pionnières sur le marché de l’art photographique », affirme Agathe Cancellieri, directrice de la Galerie Rouge à Paris. Dès les prémices de la discipline, les femmes photographes et techniciennes se sont emparées du médium, dans les studios, les labos et derrière l’appareil. Et les femmes galeristes ont œuvré à mettre en lumière le travail des photographes. Si dès l’origine, la photographie intrigue la presse et le monde de l’art, son entrée dans les galeries se révèle plus laborieuse. « Personne ne croyait qu’on pouvait vendre des tirages photographiques au même titre que de la peinture, explique Agathe Cancellieri. Cette méfiance des galeristes masculins a ouvert une brèche pour les femmes, leur offrant une opportunité unique de s’affirmer sur ce marché. » Helen Gee est la première à faire le pari d’ouvrir une galerie photo. Limelight naît à New York en 1954. « Il s’agissait plutôt d’un café-galerie, car la vente de tirages n’était pas suffisante pour la faire tenir. Elle a exposé des photographes de renom comme Robert Frank ou Berenice Abbott », ajoute la directrice de la Galerie Rouge. Les années 1970 sont décisives, avec l’émergence de nombreuses galeries dirigées par des femmes, à l’instar de la galerie Michèle Chomette et de la Galerie Rouge, fondée par Agathe Gaillard en 1975, en France.
Évolution en demi-teinte
Malgré le nombre important de femmes diplômées d’écoles de photo (63 %, selon l’étude publiée en 2018 par les Filles de la Photo — collectif qui réunit des professionnelles du milieu, voir p. 28), leur représentation dans les institutions et les médias reste inférieure à celle de leurs homologues masculins. En 2021, les Filles de la Photo publiaient leur deuxième rapport d’enquête de leur Observatoire de la mixité, avec ce constat : « Les femmes se sentent davantage en difficulté et ont plus de mal à promouvoir leur travail. » L’accès aux galeries se révèle particulièrement difficile. L’étude révèle que 57 % des femmes photographes trouvent compliqué ou très compliqué de présenter leur travail dans une galerie, contre seulement 37 % des hommes. Si les obstacles rencontrés sont structurels, comme « l’entre-soi masculin », d’autres sont aussi intériorisés, comme « la timidité ». « Il me semble que les femmes sont moins « vindicatives », elles sont sans doute moins remarquées, et donc moins vendues », analyse Nathalie Locatelli, fondatrice et directrice de la Galerie 127 à Marrakech [nous apprenons lors du bouclage la fermeture de la galerie ; Nathalie Locatelli continuera son engagement auprès des photographes sous une autre forme, ndlr]. Par ailleurs, plusieurs sources fiables nous ont alertés sur le sort réservé à certaines galeries en Iran — notamment celles qui présentent des artistes femmes. Celles-ci auraient vu leur autorisation d’exercer non renouvelée du fait de la situation politique actuelle. Une situation qui aurait un impact catastrophique d’un point de vue économique pour les photographes, peu importe leur genre. Résultat, « il est encore plus dur de promouvoir le travail des femmes », nous dit-on.
Entraide
Hannah Watson, cofondatrice de la galerie TJ Boulting à Londres, travaille depuis toujours avec les femmes photographes : « J’ai toujours adoré montrer le travail de femmes, étant une femme moi-même. En un sens, je ne les représente pas uniquement en tant qu’artistes, mais aussi en tant qu’individus. Elles sont talentueuses et partagent des voix originales. » Des artistes telles que Juno Calypso ou Poulomi Basu sont passées par sa galerie. « J’entretiens de bonnes relations avec les femmes, car elles abordent souvent des sujets concernants comme l’intime, le corps ou la grossesse », ajoute-t-elle. Ce sentiment est partagé par Nathalie Locatelli, qui a notamment exposé Michèle Maurin et Carolle Bénitah. Un constat similaire émane de la Galerie Rouge, où les femmes artistes occupent une place prépondérante. « Je crois que c’est une stagiaire qui m’a fait prendre conscience du fait que j’exposais plus de femmes, s’amuse Agathe Cancellieri, pour qui la sélection d’artistes se fait naturellement. J’étais assez étonnée, car je ne pense pas que ce soit le cas dans toutes les galeries. » Elle explique sa curation par sa formation d’historienne, qui la pousse à dénicher des œuvres méconnues, synonymes à ses yeux d’œuvres de femmes. Agathe Cancellieri cite Claude Batho, Jill Freedman ou encore Martine Barrat.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #66.