Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe confirmé Sølve Sundsbø, 54 ans, sur l’image en mouvement, la puissance du cadre et l’influence des arts. Entre expériences personnelles et visions artistiques, ce dialogue dévoile deux approches d’un même médium.
Sølve Sundsbø : Alors, comment allez-vous, Basile ?
Basile Pelletier : Je vais très bien. Je suis rentré à Paris il y a deux semaines. J’étais à Taïwan durant six mois dans le cadre d’un échange avec mon université. Je suis une licence de cinéma à la Sorbonne, mais c’est théorique. J’aimerais beaucoup en faire un jour. J’ai déjà réalisé quelques vidéos, et mon travail photo s’en inspire beaucoup. Vous faites également beaucoup de vidéo, n’est-ce pas ?
S. S. : Oui, mais ce n’est pas inspiré par le cinéma. De nombreuses personnes me demandent si je veux faire un long métrage, je réponds que ce n’est pas mon intention, parce que c’est différent. Un cliché n’est pas comme une histoire, un roman ou une nouvelle. Et, à bien des égards, ce n’est même pas un poème, mais plutôt une phrase tirée d’un poème. Il faut donc imaginer ce qui précède et ce qui suit ; je pense que c’est la force de la photographie. L’esprit de l’artiste doit réfléchir à l’avant et à l’après, c’est ce qui rend la photo « vivante ». À travers mes petits films, j’essaie d’« étendre » les images pour qu’elles soient plus qu’une ligne de poème. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’images en mouvement que de films.
B. P. : Oui, vos vidéos sont une continuité de la photo. Dans mon travail, c’est cet avant et cet après qui sont vraiment primordiaux. Comme j’aime les images cinématographiques et mystérieuses, je veux que les spectateur·ices devinent ce qu’il se passe, ce qu’il s’est passé avant et ce qu’il se passera après.
S. S. : Mais il est aussi intéressant de constater que certain·es des cinéastes les plus apprécié·es, comme Ingmar Bergman ou Andreï Tarkovski, donnent instantanément au cadre de leurs films un pouvoir important.
B. P. : Je suis allé voir il y a deux jours mon premier film d’Ingmar Bergman, Le Septième sceau (1957). J’ai été stupéfait par sa photographie noir et blanc : chaque image est folle !
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Projets et réflexions
S. S. : Vous allez faire une exposition au Festival de Hyères à l’automne prochain, c’est bien ça ?
B. P. : Oui, j’ai remporté le prix American Vintage, ce qui m’a permis de réaliser une commande pour eux, une carte blanche. J’ai décidé de faire ce projet à Taïwan, car il s’inspire du cinéma local des années 1980-2000, très intéressant. J’ai travaillé avec mes ami·es, comme je le fais déjà à Paris. Iels jouent mes personnages et créent de la fiction avec la réalité. Et vous, avez-vous des expositions en prévision ?
S. S. : Aucune pour le moment, je termine un livre avec un éditeur japonais. J’ai plusieurs événements qui se passeront d’ici fin mai, mais j’ai signé des accords de confidentialité. Certains projets – assez cinématographiques – sont intéressants par rapport à ce dont nous avons parlé. J’espère que les images seront assez fortes pour se suffire à elles-mêmes.
B. P. : Avez-vous suivi des études de photographie ?
S. S. : J’ai étudié l’histoire durant un an. Mais d’une certaine façon, je l’explore encore, car je continue à lire beaucoup. Mon cerveau est en constante ébullition, j’ai besoin d’être stimulé. Pas seulement dans le domaine de la photographie, du cinéma ou de la mode, mais dans toutes les disciplines. Je pense que toute ma vie sera une sorte de formation continue.
B. P. : C’est intéressant que vous n’ayez pas étudié le 8e art. Quand je regarde vos photos, c’est pourtant comme si elles paraissaient complexes à réaliser.
S. S. : Ce n’est pas mon souhait ! La plus grande photo est souvent faite avec les éléments les plus simples, elle n’a pas besoin d’être compliquée. Cela me fait penser à Johan Cruyff, le célèbre joueur de football néerlandais, qui a dit que le ballon est plus rapide que la personne. Mais que ce qui est plus rapide que les deux, c’est le cerveau. C’est tellement vrai. Si vous pouvez imaginer quelque chose, alors vous trouverez un moyen de le réaliser. Ce que vous croyez être compliqué est finalement très simple.
B. P. : Oui, je suis d’accord. Plus c’est simple, plus c’est beau, compréhensible et poétique. J’ai commencé la photographie en récupérant l’appareil de mon grand-père lorsqu’il est décédé. Je ne fais que de la pellicule, ce qui n’est pas facile. Je passerai bientôt au numérique, c’est moins onéreux. Je shoote souvent dans ou avec l’eau, principalement la nuit, avec un flash sous-marin. Je sais où se trouve mon sujet, ce qu’il fait. Mais ce n’est jamais évident de se repérer quand on est dans l’eau avec une unique source de lumière. J’ai aussi besoin d’apprendre des choses plus techniques. Peut-être faudrait-il que j’assiste des photographes ?
La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #70. Rendez-vous par ici pour découvrir plus de sujets de notre dossier spécial mode.