
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la beauté contemporaine. À travers Rebecca, ancienne candidate à un concours de beauté, la photographe italienne recompose un paysage où l’image gouverne les corps et les ambitions.
Alors que l’élection de Miss France 2026 s’apprête à envahir nos écrans, Bellissima se lit comme un écho singulier. Dans quelques jours, des millions de téléspectateur·ices suivront le couronnement d’un idéal soigneusement mis en scène, tandis que des petites filles rêveront de fouler un jour cette scène où la beauté est lissée. Carla Rossi connaît bien cette fascination précoce. Elle raconte qu’enfant, elle regardait « des tonnes d’émissions mettant en scène des femmes magnifiques », du divertissement italien aux shows internationaux comme America’s Next Top Model. « Des concours de beauté aux jeux télévisés, en passant par la météo, le format “velina” [jeune femme choisie par la télévision italienne pour son physique dans le but d’augmenter les audiences, ndlr] est tellement omniprésent en Italie qu’on finit par ne plus y prêter attention, il fait simplement partie du paysage », ajoute l’artiste désormais installée à Paris.
Rebecca, la protagoniste de Bellissima, vient de ce même univers saturé de modèles. Leur rencontre permet à Carla Rossi de la suivre dans un parcours bien défini, entre coulisses, casting et rêve glamour. « Mon travail s’inspire de la mode et de l’industrie de l’image où la photographie devient à la fois le moyen et la mesure de la valeur sociale », explique-t-elle. Une idée qui irrigue chaque page du livre, où la beauté se révèle comme une construction visible, répétée et performée. « Les médias ont créé cet idéal de féminité hypervisible et hyperperformatif. Les jeunes femmes finissent par le voir sur les écrans, sur les réseaux sociaux, et elles finissent par s’habituer à se comporter de la même manière, apprenant à se regarder à travers des images », constate la photographe qui a déjà participé à un casting d’un concours de beauté pour mieux en comprendre les rouages.




Le rêve de l’image
Carla Rossi travaille la matière de l’image comme d’autres travaillent la terre ou le métal. « La photographie, telle que je l’utilise, est essentiellement une surface. J’aime travailler sur les surfaces et la matérialité des cadres, des pixels aux supports de représentation », précise-t-elle. Dans la chorégraphie visuelle qui structure Bellissima, chaque mouvement de Rebecca renvoie à des années d’apprentissage indirect devant un écran. Sourires artificiels, gestes maniérés, cambrures exagérées… Des manières de tenir son corps héritées de milliers d’images absorbées depuis l’enfance. L’autrice voit dans les concours de beauté un terrain privilégié pour analyser ce qu’elle nomme « le rêve de l’image ». Un espace où chacun·e peut s’imaginer choisi·e, reconnu·e, ébloui·e par la lumière. Même si, selon elle, les résultats ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans, ces concours restent un sésame accessible pour de nombreuses jeunes femmes désireuses d’entrer dans l’industrie de l’image.
Un désir dont Carla Rossi a elle-même été habitée. Adolescente, elle voulait performer devant les caméras. Et c’est finalement derrière l’appareil qu’elle a trouvé sa place, afin de créer de ses propres mains les images dont elle rêvait un jour de faire partie. Le livre joue d’ailleurs avec ces glissements. L’artiste mêle archives pixellisées, mises en scène rigoureuses, scènes frontales. Ce mélange crée une tension douce, celle d’une boucle où passé et présent se répondent. Il rappelle que d’autres femmes, avant Rebecca, ont exécuté les mêmes gestes qui naissent de ce que Carla Rossi appelle « les fantômes culturels ». Des silhouettes invisibles qui définissent les contours de la féminité dite « légitime ». L’ouvrage les fait revenir pour mieux montrer que leurs traces pèsent encore sur les corps d’aujourd’hui dans la culture visuelle populaire. Rebecca devient alors le visage d’une génération prise dans un mouvement ambivalent. Dans un monde où la beauté circule avant tout dans les images, Bellissima rappelle que cette quête n’est jamais neutre et qu’elle peut émerveiller autant qu’elle enferme.





