Jusqu’au 28 janvier 2024, le Jeu de Paume rend hommage au grand œuvre de Julia Margaret Cameron au travers d’une importante rétrospective baptisée Capturer la beauté. Au gré des cimaises se révèle tout l’avant-gardisme dont a fait preuve cette pionnière de la photographie au 19e siècle.
Pour sa rentrée, le Jeu de Paume met à l’honneur Julia Margaret Cameron. Évènement majeur de la saison, il s’agit de la première rétrospective qui lui est consacrée en France depuis 40 ans. Les mois à venir, visiteurs et visiteuses pourront ainsi plonger dans l’univers de l’artiste victorienne et venir admirer une centaine de tirages – issus, pour l’essentiel, des collections du Victoria and Albert Museum de Londres – au travers desquels elle a capturé la beauté, si chère à son cœur. À l’instar de bien de grands noms, son art était peu apprécié à son époque, sans doute en raison de son aspect révolutionnaire, irrémédiablement avant-gardiste. Seuls le temps et la redécouverte de ses travaux, au début du 20e siècle, par Alfred Stieglitz ont contribué à faire briller son héritage, dont l’aura subsiste. Les murs du couloir, qui mène à la première salle de l’exposition, sont justement parés de citations signées Nan Goldin, Patti Smith ou Paolo Roversi, témoignant de toute l’influence qu’elle exerce aujourd’hui encore.
Des portraits intimistes
Ce n’est pourtant qu’à l’âge de 48 ans que Julia Margaret Cameron reçoit son premier boîtier, un cadeau de l’une de ses filles et de son gendre, pour son anniversaire, qui marquera le début d’une carrière fulgurante. Inspirée, elle s’adonne religieusement à la pratique du médium, qu’elle définit comme « l’incarnation d’une prière ». La cave à charbon eut tôt fait de se transformer en chambre noire et le poulailler en verrière éclatante. Une décennie à peine lui sera nécessaire pour s’imposer en tant que portraitiste de talent. De 1864 à 1875, cachée sous un drap sombre, devant son objectif, les modèles, toujours les mêmes, se succèdent, en Angleterre comme à Ceylan. Un vaste carnaval commence alors. Proches, domestiques et nobles gens, qu’importe leur rang ou leur situation sociale, doivent poser aussi longtemps qu’elle le souhaite. Parmi les visages les plus familiers se trouvent ceux de John Hershel, Charles Darwin, Alfred Tennyson, George Frederic Watts, Alice Liddell, qui inspirera Alice au pays des merveilles à Lewis Carroll, ou encore Julia Jackson, sa nièce et muse préférée, qui donnera naissance à une petite Adeline, en 1882, plus connue sous le pseudonyme de Virginia Woolf.
Inspirée par les histoires qu’elle a lues et celles qu’on lui a racontées, elle se plaît volontiers à les illustrer. Pour ses créations, les enfants se déguisent en anges de la nativité, accoudés sur les remparts du paradis, tandis que les femmes, drapées de linges épurés, rejouent des madones éplorées. Outre les scènes bibliques, celles qui relèvent de la mythologie gréco-romaine, des légendes séculaires ou de la littérature, allant de William Shakespeare à des textes qui lui sont contemporains, sont aussi nombreuses. Souhaitant surmonter le réalisme en atteignant la précision de la mise au point, une impression sculpturale se dégage des sujets qu’elle immortalise dans un clair-obscur intimiste maîtrisé. Peintres et écrivains qui l’entourent s’émerveillent du résultat.
La trace de son passage
« Mrs Cameron, qui était photographe amateur, est la première personne à avoir eu l’intelligence de s’apercevoir que ses erreurs faisaient sa réussite, et à créer dès lors des portraits systématiquement flous », soulignera à juste titre le poète Coventry Patmore en 1866. Cette imprécision vaporeuse, qui nimbe les êtres et permet de mettre l’accent sur l’acuité des traits, sera vivement rejetée par la plupart des critiques, qui ne jurent que par la netteté et la fidélité de la représentation. « Qu’est-ce qu’une mise au point ? Et qui a le droit de dire quelle mise au point est légitime ? Mon aspiration est d’ennoblir la photographie et d’inscrire sa particularité et ses usages dans les beaux-arts en associant le réel et l’idéal, et, sans y sacrifier la vérité, par un dévouement total à la poésie et à la beauté », écrivait-elle déjà dans une lettre adressée à John Hershel, datée de 1864.
Pour équilibrer ses compositions, elle choisit minutieusement la manière dont elles seront présentées, adoptant tantôt un format rectangulaire, tantôt une forme aux bords arrondis. Artiste dans l’âme, ses tirages laissent toujours entrevoir la trace de son passage, qui s’exprime au moyen de rayures, de bavures ou de taches. Quelques pages manuscrites, un objectif doré, un cliché d’elle-même… Le Jeu de Paume perpétue cette volonté en disséminant quelques objets de son appartenance et vestiges de sa présence. Soutenue notamment par le programme Kering | Women in Motion, qui met en lumière les femmes officiant dans l’art et la culture, les deux institutions ont imaginé un épisode de podcast, répondant au nom de la rétrospective. Celui-ci prolonge tout autant son envie de partager des histoires. Le temps d’une écoute, la comédienne Clémence Poésy se propose de lire Virginia Woolf. Le talent en héritage, l’écrivaine dresse à son tour le portrait de sa grand-tante, qu’elle n’a jamais connue, dans un texte où la beauté de la prose égale sans aucun doute celle des images révélées.