« C’est comme si nous avions pris un instantané de la Turquie »

05 juillet 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« C’est comme si nous avions pris un instantané de la Turquie »

L’exposition Une colonne de fumée, regards sur la scène contemporaine turque présente les travaux réalisés par une quinzaine d’artistes d’aujourd’hui sur ce pays, ses richesses et ses contradictions. Entretien avec Yann Perreau, l’un des commissaires. Une interview à retrouver dans notre dernier numéro.

Fisheye : Comment vous est venue l’idée de cette exposition? Pourquoi avoir choisi Arles ?

Yann Perreau : Je vis entre Istanbul, Paris et Los Angeles depuis cinq ans. Étant moi-même journaliste, j’ai couvert ce qui se passait en Turquie d’un point de vue politique. J’ai connu l’interdiction de la presse et la censure, j’étais donc assez sensible aux cas des intellectuels et des artistes. J’ai aussi une histoire personnelle avec la Turquie, et Ilgın Deniz Akseloglu, la co-commissaire de l’exposition, est d’origine turque. J’avais déjà parlé avec Sam Stourdzé [directeur des Rencontres] de l’importance de la scène turque, et il m’a proposé de réaliser une exposition. Le festival fait se croiser photographes plasticiens et reporters : l’idéal pour ce projet.

Dans le contexte politique actuel, à quoi s’exposent les artistes?

On ne sait jamais vraiment à quoi ils s’exposent. C’est le problème avec cette répression. Ils risquent bien sûr la censure en présentant des œuvres qui ne s’alignent pas avec l’image que le gouvernement veut promouvoir. Un grand nombre de journalistes sont emprisonnés, et certains intellectuels sont recherchés à l’étranger. Les artistes ne sont plus en sécurité en dehors du pays. Une colonne de fumée met en valeur des travaux qui ont envoyé des photographes en prison. Ce sont des œuvres qui questionnent la circulation des images et leur dimension subversive. Aujourd’hui, en Turquie, photographier des choses qui ne plaisent pas au pouvoir vous condamne à être un « terroriste ». Il n’y a plus de concept de photographie de reportage.

© Çağdaş Erdoğan

© Çağdaş Erdoğan

Certains artistes présentés sont donc considérés comme des « terroristes » ?

Il faut savoir qu’en Turquie, en arrivant à l’aéroport, vous risquez de vous faire prendre votre ordinateur ou votre téléphone portable. Vous pouvez être catalogué comme « terroriste » à cause de simples photographies. C’est ce qui est arrivé à Mathias Depardon, qui avait photographié des militants du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan]. Les autorités avaient eu accès à son compte Instagram, et avaient retrouvé ces images prises deux ans plus tôt. Il y a aussi le cas de Çagdas Erdogan et sa série Control, des clichés en noir et blanc de la vie underground d’Istanbul. On y voit la communauté gay, la ma a, des combats de chiens… autant de sujets trash que le gouvernement n’approuve pas. Il a d’ailleurs été emprisonné, et ses images ont servi de pièces à conviction pour instruire son procès. Mais pour autant, ni Ilgın ni moi ne voulions centrer cette exposition sur la censure.

Que vouliez-vous présenter à Arles ?

En général, le public européen aime l’orientalisme de pacotille et voir des sujets sur la politique ou la religion. Nous en avions tous les deux marre que les gens se focalisent là-dessus, la Turquie est bien plus que cela : ce n’est pas un pays arabe, mais un territoire laïque au départ. Cette exposition, c’est comme si nous avions pris un instantané de la Turquie d’aujourd’hui. À travers différents univers et réalités, nous plongeons le public dans une atmosphère. Chaque artiste a son propre espace : les visiteurs pourront voyager avec poésie, ils ressentiront les émotions des photographes.

© Cihan Demiral

© Sinem Dişli

© Sinem Dişli

Cet article est à retrouver dans Fisheye #31, en kiosque et disponible ici.

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