Au fil de ses projets, Chris Mann immortalise des paysages à la lisière entre deux mondes. Dans Interzone Baku, cet adepte des tirages argentiques en noir et blanc nous fait voyager jusqu’à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, où se déploient de nombreux récits marqués par l’abstraction.
Une nuée d’oiseaux traverse le ciel. D’un mouvement gracieux, ils contournent des immeubles aux lignes courbes en direction de nouveaux horizons. Sur leur chemin, peut-être survoleront-ils ces territoires désertiques ou encore ces édifices qui ressemblent à des dunes, figés dans des monochromes grenus. Les images défilent et offrent une variété de paysages à la croisée des mondes. S’agit-il d’un seul et même endroit ? L’ensemble retient l’attention. « Bakou me fascinait depuis des années : le potentiel visuel au carrefour de l’est et de l’ouest, l’interaction de la région entre l’ancien et le moderne, les contrastes entre la nature et l’urbanité m’attiraient, appuie Chris Mann, qui signe ce corpus. Cette partie de la planète est riche en activités humaines depuis des milliers d’années, depuis les pétroglyphes de Gobustan jusqu’au zoroastrisme en passant par la route de la soie. Peu de ressources naturelles ont façonné la civilisation comme le pétrole, qui est le pilier économique de l’Azerbaïdjan et dont Bakou abrite le premier puits au monde. Aujourd’hui, les vestiges de l’Union soviétique coexistent avec une architecture hyper moderne, comme les tours Flame et le centre Heydar Aliyev, qui renvoient aux paysages et aux ressources de la région. »
Pousser à la liberté et à l’imagination
Dans Interzone Baku, le photographe britannique joue ainsi des dichotomies dans des monochromes abstraits dont les motifs apparaissent selon « une échelle allant de la lumière à l’obscurité ». À ses yeux, la région prend la forme d’une scène symbolique des activités humaines en général, qui s’avère sujette à l’ambigüité. « L’interzone est le nom que je donne au territoire visuel que je recherche dans mon travail. C’est un concept auquel je reviens sans cesse. Il s’agit d’un espace entre la réalité et l’imagination, ni ici ni ailleurs, un endroit où oscillent la fugacité et l’intemporalité », explique Chris Mann. Plutôt que de se considérer comme un conteur d’histoires, l’auteur dissémine des éléments qui mèneront vers des interprétations subjectives, elles-mêmes façonnées par les expériences et fantaisies de tout un chacun.
Cette volonté se retrouve tout autant dans le processus de création des images, réalisées au moyen d’un boîtier argentique. Quelques jours, voire quelques semaines, s’écoulent toujours entre la prise de vue et le développement de la pellicule en chambre noire. Un flottement existe alors. « Pour moi, cette période influence souvent la photographie finale, assure Chris Mann. Ma relation à un moment donné peut changer sans entrave, de même que mes souvenirs et mes attentes quant au résultat. » Il est vrai qu’un seul et unique instant ou cliché donnera lieu à autant de récits que de circonstances dans lesquels il a été observé. « Mes images préférées sont celles qui évoluent. C’est pour cette même raison que je travaille en noir et blanc, comme si j’écoutais de la musique sans paroles : il y a une forme, mais pas de contexte direct. Je ne veux pas nécessairement être ramené au moment où j’ai pris la photo, mais plutôt pousser les choses dans un espace visuel plus ouvert à la liberté et à l’imagination », précise-t-il.