Leticia Pérez et Thomas Guillin, nos coups de cœur de la semaine, s’intéressent à l’espace, aux lieux et aux individus qui l’habitent. Si la première y cherche son identité, le second s’emploie à documenter les territoires en mutation, avec une certaine marge de liberté.
Leticia Pérez
Pour Leticia Pérez, « habiter ne signifie pas seulement occuper un lieu, mais construire une relation profonde avec lui et avec nous-mêmes ». Plus encore, notre environnement et le rapport qu’on entretient avec lui participeraient à la construction de notre être. Relier l’intime et le monde extérieur apparaît au cœur du travail de l’artiste, installée dans un petit village du nord de l’Espagne. Dotée d’une formation en architecture, elle explore avec poésie l’espace, le corps et la mémoire, qu’elle réunit par l’image. La photographie, chez elle, se fait tissage, point de rencontre entre ces éléments. Plus encore, elle permet à la plasticienne de révéler « les histoires et les émotions [que portent en eux] les gestes et les objets du quotidien », de doter d’une conscience l’inanimé comme le mécanique. Ces derniers, véhiculant récits et souvenirs, contribuent à un rapport de transmission, et même de filiation, comme le constate la photographe. En ce sens, ne peuvent-ils pas être considérés comme des composantes de notre personne ? C’est en tout cas ce que propose la jeune femme avec sa série Pórtico, dans laquelle elle revisite les archives et la mémoire du domicile familial. Par ce projet, l’artiste tente de « se reconstrui[re] à travers des espaces – physiques et métaphoriques – en explorant [s]on moi le plus intime et vulnérable afin d’apprendre à réellement [s]’habiter ». Ainsi chez Leticia Pérez, l’individualité devient maison, un paysage de lumière, d’arcades et de réminiscences.
Thomas Guillin
« Témoigner de notre époque avec une justesse que seul l’œil peut saisir », telle est la force de la photographie selon Thomas Guillin. Mais ce témoignage, chez lui, se décline de façons variées, ses séries oscillant entre le documentaire et la fiction. Sans doute ses études de littérature et de cinéma, menées entre 2007 et 2012, y sont-elles pour quelque chose. Comme la suite logique de ce parcours, il se tourne ensuite vers le médium photographique. « L’image fixe me permettait de condenser en un seul cadre la complexité narrative que je recherchais », explique-t-il. Aujourd’hui ouvrier maraîcher en Ariège, il poursuit sa pratique par le biais de ponctuelles commandes et de ses travaux personnels. À travers ces derniers, il aborde les enjeux sociaux et environnements actuels et exprime « les tensions entre tradition et modernité, entre nature et artificialisation ». Plus précisément, ce sont les bouleversements paysagers et urbains que l’artiste cherche à retranscrire. Mais à cette démarche semblable au reportage se mêle une approche célébrant l’imaginaire. « Selon mes projets, la latitude entre ancrage réel et expression fictionnelle est très variable », explique Thomas Guillin. Et plus cet écart se creuse, plus le travail concerné gagne en universalité.
C’est le cas de Conquête, série explorant l’extension des métropoles et les conséquences de cet incessant développement sur les zones périurbaines. Si les prises de vue se sont déroulées dans la périphérie de Toulouse, les images n’en présentent aucun signe. Nourries à l’imagerie de la science-fiction, elles sont presque totalement décontextualisées et présentent « des espaces [qui] semblent n’avoir existé que dans un passé ou un futur lointain ». Actuellement en train de constituer un corpus d’images organisant dix ans de photographie, Thomas Guillin élabore un ouvrage dont « chaque chapitre apporte sa pierre à une réflexion globale sur notre rapport contemporain au territoire ».