Daesung Lee : nos horizons submergés

14 octobre 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
Daesung Lee : nos horizons submergés

Jusqu’au 29 octobre, la Galerie Écho 119 présente la série On the shore of a vanishing island du photographe sud-coréen Daesung Lee. Un conte environnemental et humain poétique à découvrir promptement.

L’île de Ghoramara est située à 92 km au sud de Calcutta en Inde, à la frontière du golfe du Bengale. D’environ cinq kilomètres carrés, l’île n’est peuplée que de quelques habitants, pêcheurs ou agriculteurs qui sont pour la plupart autosuffisants. Mais depuis des années déjà, l’eau gagne du terrain et l’érosion fait disparaître au compte-gouttes les quelques espaces terrestres, pour laisser place à l’absence. C’est sur cette même île que le photographe sud-coréen Daesung Lee a figé ce qui subsiste malgré le désastre. En 2011, il a passé plus d’un mois sur les traces de Ghoramora, se laissant aller à la rencontre inopportune de sa population, souhaitant rendre compte, avant tout, d’autrui. Au-delà des problèmes écologiques et environnementaux, il désirait révéler l’humain, les résidents et résidentes qu’on oublie trop vite, dont on ne parle pas forcément, qui étaient et sont toujours relégués au second plan par le gouvernement indien. « Un jour, cette île où ils sont nés ne sera plus qu’un souvenir », déplorait le photographe dans un entretien au Monde. Près de onze ans plus tard et dans un contexte de plus en plus précaire, sa série On the shore of a vanishing island est exposée à la Galerie Écho 119.

Là, au cœur de l’espace apaisant de la galerie, les œuvres de Daesung Lee sont présentées dans un calme latent. La pièce, dénuée du bruit parasite des animations humaines, nous emporte sur le rivage − sans bruit lui aussi − d’une presque-île qui bientôt ne sera plus. À l’orée de sa disparition certaine, Ghoramara et sa population se dévoilent frontalement et se racontent avec beaucoup de douceur. Imprimés sur du papier de chanvre − une idée proposée lors du Prix photo Dahinden pour lequel Daesung Lee a reçu le Prix du Public 2021 − les portraits prennent une tout autre apparence : granuleuse, laiteuse presque picturale. D’une approche documentaire, Daesung Lee crée une narration sujette à de nombreuses interprétations. Il laisse ses personnages s’offrir à nous par leur simple présence, nous confrontant presque par leurs regards tendres, vaillants, s’attardant parfois vers l’horizon. Un horizon que nous peinons à percevoir, qui nous apparaît aussi incertain que submergeant. Pourtant, de façon systématique, les silhouettes résistent dans un paysage qui s’efface, elles nous appellent pour que nous réalisions enfin ce qui est en train de dérouler sous nos yeux, mais que nous feignons de ne pas voir.

© Daesung Lee

© Daesung Lee

Conserver ce qui s’en va

Dénoncer, prévenir et interpeller : telles seraient les maîtres mots du travail de Daesung Lee, toujours transmis en poésie. Jamais misérabiliste, jamais dérangeant, le discours de l’artiste suggère. Désirant représenter authentiquement la population locale, il nous montre alors des différents corps de métiers et visages qui habitent Ghoramara : enfants, paysans, mères de famille, pêcheurs… Les pieds dans l’eau ou élevés sur un bloc de terre immergée − d’où l’on aperçoit les racines asséchées −, les modèles d’On the shore of a vanishing island sont les victimes de notre société consumériste. Elles le sont tout autant que la terre qui les accueille.

Avec humilité et bienveillance, le photographe dévoile l’histoire d’une terre, d’un peuple et finalement d’un monde en proie à l’effondrement. Figeant dans l’éternité ce qui est voué à sombrer dans le néant, Daesung Lee laisse planer un doute, un espoir, un : « Et si ? ». Et si notre planète un jour retrouvait des mers nourricières, des terres fécondes, des forêts immenses ? En représentant des territoires multiples, des lieux qui s’évanouissent, l’artiste sud-coréen nous invite à prendre conscience de notre part dans le collectif, de l’urgence du soin aux autres. Daesung Lee inonde nos yeux et nos esprits d’un message de solidarité et narre l’histoire d’un changement probable.

© Daesung Lee

© Daesung Lee© Daesung Lee

© Daesung Lee© Daesung Lee

© Daesung Lee© Daesung Lee

© Daesung Lee

© Daesung Lee

Explorez
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #527 : l'être-nature
© Tetsuo Kashiwada / Instagram
La sélection Instagram #527 : l’être-nature
Trop souvent l’être humain s’est pensé extérieur au monde naturel. Capitalisme et mondialisation en sont en partie responsables. Si la...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
© Juliette-Andréa Élie / Fondation Avril
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
Jusqu’au 12 octobre 2025, la 3e édition de la biennale Photoclimat prend ses quartiers à Paris. De la place de la Concorde à celle de...
27 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Du cauchemar aux monstres : des séries photo pour Halloween
© Diego Moreno, ABISMOS, from the series Malign Influences, 2020
Du cauchemar aux monstres : des séries photo pour Halloween
Des peurs les plus enfouies aux allégories d'une minorité opprimée, des croyances étranges aux expérimentations en chambre noire pour...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Peinture, coulée d'or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Zoé Bleu Arquette. Une nuit étoilée, 2025 © Rose Mihman
Peinture, coulée d’or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici proposent de découvrir la photographie à travers différentes techniques...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine