Dans le Perche, rien n’est impossible…La preuve avec Christine Ollier

20 mai 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
Dans le Perche, rien n'est impossible...La preuve avec Christine Ollier

Jusqu’au 12 juin, Christine Ollier, accompagnée de bénévoles, vous ouvre les portes de sublimes sites patrimoniaux. À l’occasion de la troisième édition du Champ des Impossibles – un parcours 100% perchois faisant dialoguer art contemporain et patrimoine – sa fondatrice et cheffe d’orchestre revient sur l’essence même du projet et dévoile la programmation 2022. Entretien. 

Fisheye : Peux-tu nous présenter le Champ des Impossibles  ? 

Christine Ollier : C’est un festival d’envergure nationale qui fait résonner art contemporain et patrimoine en permettant de découvrir, cette année, 26 artistes à travers une exposition personnelle ou une installation in situ dans 17 sites patrimoniaux – dont plus de la moitié sont ouverts spécialement pour l’occasion… D’où le sous-titre « Parcours art et Patrimoine en Perche » qui évoque aussi l’idée d’une balade, la découverte d’un territoire et de ses paysages.

Le parcours.03 offre une belle représentation de la scène française – qu’elle soit reconnue ou émergente – à travers la diversité des expressions contemporaines, avec la photographie comme axe majeur (60% du programme) qui est aussi dans mon ADN ! Le parcours propose également plus de 70% de productions nouvelles. 

Pourquoi implanter la photographie dans le Perche ? 

C’est le Perche lui-même qui m’a inspiré ce projet, un espace où j’ai choisi de vivre et de construire un nouveau projet depuis cinq ans déjà. Un magnifique territoire vallonné parcouru de milliers de petites routes secrètes, et habité de bâtis sublimes. Ce sont toutes ces petites églises et ces fermes, manoirs et châteaux modestes disséminés dans de petits villages préservés qui m’ont donné l’envie de me lancer dans cette aventure et de créer un festival avec les habitants – le corps de ce projet collectif. Il a été conçu dans le cadre de la préfiguration et dans l’idée d’un rayonnement élargi de la plateforme artistique Le Champ des Impossibles que je développe depuis 2018 dans la commune du Perche-en-Nocé, avec l’appui des différents pouvoirs publics. Même s’il le projet est compliqué à mettre en place et qu’il est difficile de convaincre toute le monde, l’état, la DRAC, la région et le département soutiennent de plus en plus ce projet culturel de territoire qu’ils considèrent de grande qualité. 

Le site principal est le Moulin Blanchard, un lieu acquis par la commune. Idéalement placé au sein d’un site naturel rare, il propose une belle surface de 2000 mètres carrés. Ce moulin-ferme présente un intérêt patrimonial vernaculaire d’exception et devient un centre d’art, un lieu de résidences et de productions artistiques en art contemporain, mais aussi en littérature et en musique.

© Adrien Boyer

© Adrien Boyer

En quoi ce territoire te fascine-t-il ? 

Il est ancestral ! C’est un parc naturel régional, préservé : pas de panneaux publicitaires, peu de signalétique venant brouiller notre vue… À la place, des arbres, des haies, des champs et des nuages à perte de vue, le tout baigné dans une superbe lumière du nord de la Loire et à 1h30 de train de Paris. Le Perche concentre aussi une communauté intellectuelle exceptionnelle !

Le bâti est également préservé, restauré à bon escient. Il s’impose dans la modestie de ses lignes anciennes qui datent du 14e au 17e siècles, et même du 19e parfois ! La région est restée en dehors des grands axes de l’histoire et de l’économie. Elle a subi peu de développements et a encore une campagne rustique. Ce patrimoine d’exception a été surtout sauvegardé à partir des années 1960, grâce à quelques personnes, souvent des Parisiens en mal de campagne devenus propriétaires idéalistes et restaurateurs passionnés. C’est également grâce à l’ensemble des mobilisations des habitants, parfois partis puis revenus plus riches que ce patrimoine a été restauré avec amour et respect.

La photographie est toujours un champ des impossibles selon toi ? 

Oui, absolument. La photographie est toujours un champ de fouilles et de découvertes passionnantes. Entre l’acquis et les nouvelles technologies, il y a un milliard de possibilités. C’est un peu comme la musique, ça évolue sans cesse. En venant dans le Perche, j’ai découvert beaucoup de pratiques artistiques. J’ai donc choisi de surprendre un peu le « public local » en ouvrant d’abord la porte à des écritures singulières offrant des visions différentes du territoire. C’est ainsi que j’ai accueilli en résidence des artistes comme Guillaume Zuili, Anaïs Boudot, Dune Varela accueillis en résidence. Cette année, j’expose le travail de Lisa Sartorio à l’Écomusée, ou les cyanotypes monumentaux de Philippe Durand. 

La communauté intellectuelle perchoise est riche. Rien n’est simple en province : tout est scruté, examiné et critiqué, avec violence parfois. Donc on se doit d’être au top ! Dans la programmation, cela se traduit par des découvertes locales, ou des projets que je suis depuis un moment. 

Cette année, j’expose par exemple deux photographes « classiques » : Christian Vallée et Philippe Grunchec. Par ailleurs, il y a d’autres plasticiens avec qui je collabore fréquemment comme Enzo Mianes, excellent sculpteur qui est venu en résidence puis s’est installé ici. Je l’expose à nouveau cette année avec un nouveau travail. Idem pour Frédérique Petit : l’année dernière, on découvrait ses sculptures, cette année, ses sublimes broderies. C’est un réel plaisir que de passer des « commandes », d’accompagner des projets émergents sur le long terme avec tel ou tel artiste, qu’il soit du coin ou non.

© Anaïs Boudot© Anaïs Boudot

© Anaïs Boudot

Cette année, le thème, le fil conducteur est l’arbre. Pourquoi ce choix ? 

Il y a plusieurs raisons. D’abord, ce thème traverse l’art depuis toujours et a pris de l’importance dans les pratiques actuelles avec les problèmes environnementaux. Il s’est alors opéré un « revival » des approches paysagères et une réapparition de la nature dans le champ artistique. Parallèlement ce thème résonne particulièrement avec ce territoire qui était une grande forêt dans les temps anciens. Le terme « perche » signifierait « grande forêt » d’après l’historien Philippe Siguret qui a beaucoup écrit sur ce lieu et son histoire.

C’est aussi un thème idéal pour le « grand nombre » et toutes les générations, car je milite pour un art accessible. Cela fait partie d’un choix stratégique. L’année dernière, le fil conducteur était l’Histoire de l’art et pour la prochaine édition, ce sera le règne animal. Rien de très original, c’est volontairement ouvert en termes de propositions possibles et impossibles ou inattendues. Je préfère développer une approche globale à une thématique de niche. Je recherche un véritable reflet des créations contemporaines en travaillant des thèmes qui traversent toutes les scènes artistiques, dans la diversité des langages et des formes. Je suis sans doute un peu en décalage avec une certaine idée de la scène artistique Française qui se veut être dans un creuset particulier, plus conceptuelle ou innovante.

C’est aussi un défi d’imposer un thème et j’aime ça ! Cela m’amuse beaucoup de puiser et d’épuiser une réflexion et de chercher à faire résonner des travaux avec des sites historiques. Le vrai défi n’est pas le thème, mais de trouver les artistes et des œuvres qui vont dialoguer avec tel ou tel espace architectural, et avec son histoire.

Bien évidemment, pendant que je construisais autour de ce thème, le temps est passé, et d’autres expositions ont vu le jour à la Fondation Cartier, à Chaumont-sur-Loire, au Musée Zadkine et partout dans le monde…Les idées n’appartiennent à personne, et d’autres professionnels se penchent sur les mêmes questions ! 

D’ailleurs c’était incroyable de voir autant d’images d’arbres à Paris Photo l’automne dernier ! Cela confirme que l’arbre est un thème d’actualité.

Doit-on y voir un message écologique ? 

Oui, mais pas frontalement, j’ose penser que démontrer la beauté de l’arbre apporte autant au débat écologique que d’exposer des démarches militantes. 

Faire un festival uniquement centré sur une pensée politique fermerait la porte à bien des expressions et lasserait le visiteur. Il me semble plus pertinent de choisir une démarche parmi plusieurs, évoquant par son exemplarité et/ou son originalité un ensemble de postures actuelles. En présentant différentes approches sur les forêts primaires à travers les mises en scène d’Andrea Mantovani ou les photographies monumentales de Laurent Monlaü nous faisons avancer la pensée et nous posons une problématique environnementale. Se perdre dans les contemplations d’un cyanotype de Philippe Durand et inciter le spectateur à ressentir le sublime du vent au sein de la petite église de Courthioust du 12e est tout aussi riche de sens.

© Andrea Mantovani

© Andrea Mantovani

Un mot quant aux différentes écritures artistiques que pourront trouver les visiteurs ? 

Cette année, j’ai élargi le festival à la Ville de Nogent-le-Rotrou, la capitale du Perche. J’ai donc augmenté le nombre d’expositions. Cela m’a permis d’aborder de nouvelles expressions comme la vidéo, la céramique, le dessin, l’aquarelle et même le textile.

En photo aussi, je présente des écritures diverses. Ce thème m’a permis d’aborder des techniques anciennes fréquemment revisitées depuis deux décennies avec Philippe Durand, Philippe Grunchec, Christian Vallée, Anaïs Boudot, des postures plus documentaires avec la résidence territoriale d’Adrien Boyer installée pour l’été au PNR (Parc Naturel Régional du Perche) ou encore avec l’impressionnant travail de Laurent Monlaü sur les forêts primaires du Monde. J’aborde la notion de fiction documentaire avec le travail d’Andrea Mantovani sur les forêts polonaises et le combat écologique qui s’y déroule. Je propose une vision poétique avec Israel Ariño ou Patrick Bard et son travail sur la forêt de F.d’Hundertwasser – un artiste écolo qui vivait dans le coin. Je partage la posture plus exploratoire de Grégoire Eloy qui a construit avec son ami Marc Bervillé une cabane dans une parcelle d’enforestement et les démarches plastiques singulières de Raphaëlle Peria et Lisa Sartorio.

Comment s’est déroulé le travail avec Grégoire Eloy, le photographe invité en résidence ? 

Grégoire Eloy est très ouvert dans sa pratique et a pour habitude d’explorer des terrains peu foulés. C’est pourquoi j’ai une envie d’initier une collaboration. Il est aussi très autonome : il m’a parlé de ce qu’il désirait et a travaillé avec son ami Marc Bervillé, devenu charpentier dans le Perche et constructeur de cabanes en bois. Gregoire Eloy a pris son temps. Je n’ai rien brusqué, d’autant que le rapport au parcours, du fait de la pandémie, a permis cette temporalité. Il a été en contact avec des amateurs lors d’ateliers et a été très généreux.

Le livre qui vient de sortir est un premier rendu de résidence qui accompagne une première installation. Il met en en évidence la complicité entre Grégoire Eloy et Marc Bervillé à travers un entretien qui parle autant de photographie que de philosophie, de forêt, de cabane, et d’expériences esthétiques et scientifiques. Son travail n’est pas terminé, je pense qu’il va revenir encore et encore. En tant qu’ancienne directrice artistique, j’ai appris à m’adapter à chaque démarche artistique et je sais qu’il faut parfois laisser faire. Chaque résidence est différente. Ce qu’il y a de bien quand on est hors du marché, c’est cette possibilité du temps, du jeu artistique, et de la réflexion. 

© Grégoire Eloy / Tendance Floue

© Grégoire Eloy / Tendance Floue

Quels sont les nouveaux lieux de cette troisième édition ? 

En 2019, il y avait 11 sites, en 2021, 13, et aujourd’hui 17. Et 22 expositions ! Plusieurs églises sont ouvertes pour la première fois comme celles de Courcerault ou de Maison Maugis. Et puis, il y a celles ouvertes en 2019 et en 2022, mais pas en 2021… Bref je suis libre : j’ouvre, je ferme ou je rouvre. Je découvre aussi d’autres lieux proposés par nos partenaires.

Cette année, j’ai convaincu la ville de Nogent-le-Rotrou de devenir partenaire en mettant à disposition un premier lieu et sans doute d’autres à l’avenir. 

Puisque rien n’est impossible, quelle est ta plus grande fierté cette année ?

Je crois que réussir cette troisième édition est ma plus grande fierté ! C’est un travail sur plusieurs années. Et puis, le projet a été impacté par la pandémie. Ça a été aussi compliqué pour les artistes d’avoir leurs projets décalés… 

Le week-end d’ouverture a été magique, tout le monde était ravi. L’ambiance était formidable, trois jours d’inauguration avec un public mélangé. C’est un boulot énorme pour l’équipe des bénévoles, mais c’est un magnifique moment d’échanges et de partage ! L’aspect humain est fondamental, il n’y a pas que l’artistique. En mai et juin, ce sont quelque 100 bénévoles qui accueillent les visiteurs pendant cinq semaines !

© Christian Vallée© Laurent-Monlaü / Signatures

© à g. Christian Vallée et à d. Laurent-Monlaü / Signatures

Peux-tu me parler des ouvrages qui accompagnent chaque édition ? 

Ça aussi c’est une belle réussite. La collection Le Champ des Impossibles réalisée avec les éditions Filigranes et Art Culture and Co comptabilise quatorze carnets. C’est un vieux rêve que j’ai mis en place : faire parler les artistes, recueillirent leurs mots, et partager des conversations aux profils très différents, pas seulement des critiques.  L’expression de la pensée de l’artiste manque cruellement dans les textes théoriques et historiques. Je considère ces carnets comme des « livres de sieste », riches de sens, d’art et d’humanité et qui pourtant se lisent aisément.

Cette année, avec Corinne App, ma « Wonder DA », nous avons réussi le tour de force d’en finaliser sept en deux mois et demi, et c’est autant de travail qu’un gros livre ! Et puis, ensuite, je passe la main à Patrick Lebescont avec qui j’ai tant collaboré, et qui s’occupe de la diffusion plus largement. 

Des nouveautés et/ou perspectives dont tu veux nous faire part ? 

Nous venons d’ouvrir l’artothèque rassemblant ma collection personnelle et celle des résidences. En parallèle  je réfléchis à mettre en place d’autres programmes et de passer le parcours en biennale afin de pouvoir continuer à offrir un festival de qualité sans m’épuiser et en théorisant  mieux les résidences. J’aimerais avoir le temps pour le développement artistique et financier. Les Rencontres d’Arles disposent de plus de 6 millions d’euros de budget, moi, j’ai 150 000 € et 100 000 € en valorisations (infrastructures, bénévolat) et pourtant nous avons produit 22 expositions ! C’est difficile et usant de travailler sans filet sur le long terme. Mais l’implication des pouvoirs publics monte en puissance petit à petit, même si la crise sanitaire a ralenti le processus. Des partenaires privés de plus en importants s’engagent. Picto par exemple nous soutient depuis le départ tout comme l’imprimeur local Peau. Mais il y a surtout AM Art Films sur la coproduction de résidences, d’expos et des éditions. Je remercie aussi Clémentine de la Feronnière et le Fonds Regnier pour la Création qui soutient des projets d’artistes émergents et qui a permis la production de deux grandes œuvres cette année. 

 

© Philippe Grunchec

© Philippe Grunchec

© Patrick Bard

© Patrick Bard

© Israel Ariño© Israel Ariño

© Israel Ariño

Image d’ouverture © Grégoire Eloy / Tendance Floue

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