« J’étais invité chez des gens qui se mettaient en scène sous le meilleur jour possible pour montrer à leur famille “restée au pays” qu’ils avaient réussi en Angleterre. »
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Dennis Morris, artiste dont le grand œuvre est actuellement présenté à la Maison européenne de la Photograpie. Pour Fisheye, il revient sur l’un de ses tirages, intitulé « Living the Dream », qui témoigne de l’importance de la photographie pour les personnes qui ont migré vers d’autres territoires.
En ce moment même, la Maison européenne de la Photographie (MEP) consacre une importante rétrospective à Dennis Morris. Comme le nom de l’événement l’indique, Music + Life s’intéresse aussi bien à ses premiers clichés qui dépeignent le quotidien à Londres qu’à ses portraits emblématiques d’icônes de la scène musicale. L’ensemble de ses images se recoupent par ailleurs en un point. Au fil de sa longue et prolifique carrière, entamée dans sa jeunesse, le photographe a toujours eu à cœur d’établir une certaine inimitié avec ses sujets. De cette façon, il pouvait avoir accès à des facettes méconnues de leur personnalité. « Living the Dream », dont il nous parle aujourd’hui, en est un exemple touchant tant il cristallise la part sensible d’un individu.
Un lien essentiel
« Lorsque nous avons quitté la Jamaïque, ma mère et moi nous sommes installés à Dalston, dans l’arrondissement de Hackney, dans l’est de Londres, où d’autres immigrants de l’Inde occidentale avaient créé une petite communauté. Les conditions de vie étaient difficiles, car plusieurs familles partageaient souvent une même maison. L’église, qu’elle soit anglicane ou pentecôtiste, faisait partie intégrante de notre communauté et permettait également de tisser un lien avec notre nouvel environnement. J’ai alors commencé à prendre des photos de mes proches, de voisins, d’amis d’amis, de fidèles…
Dans mon quartier, j’étais connu pour prendre de superbes photos à un prix raisonnable. J’étais invité chez des gens qui se mettaient en scène sous le meilleur jour possible pour montrer à leur famille “restée au pays” qu’ils avaient réussi en Angleterre. Le jeune homme ci-dessus était élégamment vêtu d’une chemise à motifs cachemire, très à la mode à l’époque, mais surtout il tenait un téléphone, ce qui était un véritable signe de richesse, car il était alors si cher d’en posséder un à la maison. Ces photos constituaient un lien essentiel – et souvent le seul – entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. »