« La guerre est mise en scène comme quelque chose d’inoffensif, de non mortel. »
Cette semaine, plongée dans l’œil de Rafael Heygster. Photographe et journaliste indépendant, l’auteur s’intéresse, dans I died 22 times, à la commercialisation de la guerre au sein de notre culture. Pour Fisheye, il revient sur cette image, prise lors d’un salon au Moyen-Orient.
« Cette photo fait partie de ma série I died 22 times, qui documente et interroge la manière dont notre culture perçoit la guerre en dehors des champs de bataille. Elle a été prise en 2019 lors d’un salon de l’armement qui se déroulait à Abu Dhabi, dans les Émirats arabes unis. On y voit des employé·es d’une entreprise d’armement ukrainienne qui attendent des clients à leur stand. Il m’a fallu attendre vingt minutes pour qu’iels cessent de regarder la caméra et m’ignorent enfin.
J’aime cette image parce qu’elle est assez ambivalente : beaucoup de regardeur·ses sont gêné·es par l’âge de ces employé·es, l’innocence qu’on lit sur leur visage, la banalité de la représentation des systèmes d’armes. Nombreux·ses sont celleux qui critiquent les ventes d’armes et s’opposent à la guerre. Mais en parallèle, d’autres voient la nécessité – pour un pays comme l’Ukraine – de pouvoir se défendre militairement contre l’agression russe.
Cette photo est un simple extrait de mon travail. En dehors des salons d’armement, j’ai aussi assisté à des jeux de guerre ou encore des parades militaires. Et dans tous ces différents scénarios, un point commun demeure : la guerre est mise en scène comme quelque chose d’inoffensif, de non-mortel. L’horreur, les atrocités qui se déroulent dans les “vraies” guerres sont tues dans ces performances. Et cela rend la guerre “consommable”. Si mon travail n’entend pas fournir de réponses simples à des questionnements complexes, il encourage toutefois les regardeur·ses à s’interroger sur leur propre positionnement. »