Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs

23 octobre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
© Sina Müehlbauer
SinaMuehlbauer
Photographe
« Ce n’est pas moi, sur cette photo, mais en l’observant, je me surprends à me rappeler la notion insaisissable d’innocence, comme la vulnérabilité et la fragilité de nos premières années. »

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© Sina Muehlbauer
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Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Sina Muehlbauer. Intriguée par le masque métaphorique que l’on présente au monde – pour cacher certains détails ou en souligner d’autres – la photographe capture des émotions brutes, compose des scènes viscérales, en quête de vérité. Pour Fisheye, elle revient sur un souvenir qui ne lui appartient pas et qui, pourtant, lui rappelle les limites de notre mémoire.

« L’album de ma mère me rappelle mon enfance. Elle adorait prendre des photos – jamais de manière prétentieuse. Des fragments d’existence. Pourtant, quand je les regarde, je ressens parfois une profonde déconnexion. Je suis une narratrice peu fiable. Mes souvenirs de ces premières années sont flous. Ils bougent. Comme des plaques tectoniques. Modelant mon monde à coups de trous et de collisions. Formant de nouveaux paysages à explorer.
J’étais une enfant introvertie. J’observais. Comprendre et imiter les gestes des gens, leur manière de se mouvoir, leurs mimiques était ma spécialité. J’aimais aller voir des cirques – pas à cause des numéros, mais pour la manière dont les gens applaudissaient et riaient. Pour leur manière d’être heureux. De retour à la maison, je restais dans ma chambre pendant des heures, dans le calme de mon esprit, le laissant vagabonder et se dissoudre dans “ce qui pourrait être”. Un royaume imaginaire que l’extérieur ne pouvait déranger. C’était la liberté dans sa forme la plus simple.

Aujourd’hui, pourtant, je rêve souvent que je cours pieds nus sur l’herbe, que je sens ses chatouilles, la sensation fraîche de la rosée du matin sur mes chevilles, les joues rosies par l’aventure, par mes cheveux qui s’abandonnent aux vents fous cherchant à ralentir mon avancée… Mais le rêve se transforme parfois en une chasse, et l’herbe en forêt dense gênant ma vue. Souvent, on se souvient de notre enfance non par des moments spécifiques, mais à travers des impressions, des émotions, des sensations – des flashs de joie, d’amour, de confusion et de peur. Ce n’est pas moi, sur cette photo, mais en l’observant, je me surprends à me rappeler la notion insaisissable d’innocence, comme la vulnérabilité, la fragilité de nos premières années. Elle m’a aussi interrogée sur la manière dont on se souvient et dont on oublie. L’enfance devient un espace où l’identité est à la fois formée et dissimulée, façonnant ce que l’ont fait en ne laissant, derrière nous, que quelques traces .

En m’immergeant dans une représentation onirique du passé, j’entends confronter la distance émotionnelle entre notre “nous” présent et notre identité “jeune”. La notion d’“unmasking”, ici, ne traite pas forcément d’une vérité révélée, mais plutôt d’accepter l’incertitude et l’ambiguïté de notre mémoire – puisque nous sommes influencé·es par ce dont on se souvient comme ce qu’on oublie. Les corps et les visages sont flous, obscurcis, en partie effacés, ils symbolisent le passage du temps qui altère nos perceptions, nous laissant avec des figures à demi-oubliées et des moments qui nous hantent sans clarté. Unmasking traite de ce que l’on cache comme de ce que l’on révèle. À travers cette photo, j’invite le·a regardeur·se à plonger dans son propre passé et se demander : comment rassembler nos versions anciennes et actuelles, les narrations que l’on se construit et le monde d’aujourd’hui ? »

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