Depuis 2006, la photographe argentine Irina Werning a amorcé une quête originale : photographier des cheveux longs. Oui, mais pas n’importe lesquels. Des cheveux de femmes argentines – plus longs que dans la plupart des pays occidentaux. Pour ce faire, elle se rend dans les villages de montagne, distribue des tracts et organise des concours. Au-delà des chevelures, la photographe célèbre des femmes marquées par une culture hybride aux traditions fortes. Entretien avec l’auteure de Dear Long Hair.
Fisheye : Comment es-tu devenue photographe ?
Irina Werning : J’ai étudié l’économie, puis j’ai obtenu une maîtrise d’histoire et j’ai voyagé dans le monde entier pendant six ans. À 30 ans, j’ai emménagé à Londres. C’est là que j’ai découvert la photographie, tout à fait par hasard, en lisant dans un magazine l’interview d’un rédacteur en chef. Je me suis ensuite inscrite à un master de photojournalisme en pensant faire de l’édition. Aujourd’hui, je développe une pratique photographique parfois très rationnelle et parfois très intuitive.
Tu es fascinée par les cheveux, d’où cela vient-il ?
J’ai vécu à l’étranger pendant de nombreuses années et lorsque je suis revenue en Argentine, j’ai réalisé que les cheveux longs étaient en fait un élément très latin. Il faut parfois quitter son pays pour le comprendre. Cette tendance peut être attribuée à la culture hybride de l’Argentine et à l’influence combinée des traditions indigènes, espagnoles et italiennes. Dans ces cultures, les rôles masculins et féminins sont explicitement définis et se manifestent souvent par l’apparence extérieure.
Comment est né ton projet Dear Long Hair ?
J’ai commencé ce projet en 2006, par hasard, alors que je documentais les écoles rurales d’une communauté indigène en Argentine. Je croisais beaucoup de femmes aux cheveux longs et j’ai commencé à les photographier. L’année suivante, je suis retournée sur place et j’ai continué à chercher ces femmes, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Ayant trouvé très peu d’écrits à ce sujet, j’ai interviewé ces femmes et leurs familles. Un chef de la communauté Kolla (la plus grande population indigène d’Argentine) m’a dit un jour : « Vos cheveux sont importants ; c’est votre lien avec la terre. C’est un enseignement qui se transmet de génération en génération. » La valeur du patrimoine culturel ne réside pas dans la manifestation culturelle elle-même, elle réside dans la richesse de l’expérience et des compétences transmises de génération en génération.
Outre le lien à la terre, que symbolisent les cheveux longs dans ces cultures ?
Dans les communautés indigènes, les cheveux sont la manifestation physique de nos pensées et une extension de nous-mêmes. Le fait de se couper les cheveux équivaut à se couper les idées et, dans certains cas, à tomber en disgrâce. Dans d’autres cas, couper les cheveux signifie que quelqu’un est mort ou qu’il est proche de la mort. Dans de nombreuses cultures anciennes, on croyait que les cheveux non coupés étaient synonymes de pouvoir.
Est-ce que les cheveux sont plus photogéniques que les visages ?
Je n’en suis pas sûre, mais techniquement, il y a des différences entre la photographie de cheveux et le portrait « normal ». J’ai besoin de la lumière directe du soleil ou d’un flash pour exposer chaque cheveu, certaines lumières qui sont bonnes pour les visages ne le sont donc pas pour les cheveux.
Qu’as-tu appris en réalisant ce projet ?
J’ai appris que la culture est quelque chose d’invisible qui passe de génération en génération, parfois sans qu’on s’en aperçoive, mais qui est si forte qu’elle façonne la vie des gens.
Que peut-on souhaiter à Dear Long Hair ?
J’espère terminer ce projet l’année prochaine. Je vais me rendre en Équateur pour photographier des Kichwa, une communauté au sein de laquelle les hommes ont les cheveux longs !