Fruit d’une résidence dans la vallée de Thann, en Alsace, la série Passer l’hiver de Delphine Gatinois s’attache à documenter la tradition des bûchers de la Saint-Jean et l’importance de ce rite pour les jeunes adultes qui, dès janvier, empilent jusqu’à dix mètres le bois qu’on brûlera en juin.
Rite de passage marquant autrefois l’entrée dans le service militaire, la tradition des feux n’est pas unique à l’Alsace, mais elle y possède un caractère particulier : « Ce sont treize villages qui, le jour du solstice, mettent le feu à ces hauts édifices. Ce sont des groupes d’adolescent·es qui s’y consacrent. Ensemble, iels bâtissent, dès janvier, un gigantesque bûcher auquel iels mettent le feu le dernier samedi de juin. Lançant ainsi l’été, la haute saison et le passage à un autre état. Franchir un feu pour entrer dans l’âge adulte, marquer le passage par un rituel et lui conférer ainsi une forme de sacré », explique Delphine Gatinois qui a passé trois ans en immersion dans la vallée. À l’argentique, la photographe s’enfonce dans le territoire : « Avant tout, la photographie me sert à creuser. » Des portraits dans l’effort aux paysages vosgiens, que rehausse parfois la matière vivante de la peinture déposée à même le cliché, se dessine ainsi un rapport à l’espace, à l’objet, au bois que l’on découpe comme au groupe où l’on s’insère. Cette construction commune, qui a sûrement un ou deux millénaires, est une histoire éternelle. Celle des flammes adolescentes et des limites qu’adulte on leur imposera. Et puis, se devine dans le rituel le poids des décisions, l’empreinte, pour ces jeunes des vallées en changement, d’une certaine fatalité : « Parmi elleux, il y a celleux qui resteront et celleux qui partiront pour faire leurs études et probablement leur vie. Les décisions et les orientations sont déjà prises. Alors pour certain·es, perpétuer ce bûcher, c’est aussi prendre place et s’affirmer dans la vallée. La construction de ces bûchers est un de leurs derniers moments communs », conclut l’artiste.