Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes

11 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Nadya Akane, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
poirtrait d'une personne
Lili Saori, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali

Eman Ali compose The Praise of Silence, fruit d’une résidence artistique à Tokyo. La photographe explore, dans un travail collaboratif, les différentes strates des identités qui évoluent dans la capitale japonaise

Eman Ali a toujours aimé résoudre des puzzles, suivant son instinct. Pour l’artiste omano-bahreïnienne, la photographie est un moyen de révéler les couches cachées d’une histoire plus grande. En résidence à Tokyo, elle s’intéresse aux mythes locaux qu’elle considère comme « des vecteurs de transmission de leçons sur la moralité, l’éthique et la manière d’aborder la vie, que tout le monde peut comprendre, indépendamment du milieu ou de la classe sociale ». Puisant son inspiration dans l’Éloge de l’ombre (1933) de Jun’ichirō Tanizaki, elle sonde les interstices qui évoluent dans la culture japonaise, mettant un point d’orgue sur ce qui est omis, ancien ou jugé comme imparfait. « Je me suis souvent sentie dépassée par la vitalité de cette capitale et j’ai cherché des moments de tranquillité dans ce chaos. Il existe un fort contraste entre l’intensité de la vie urbaine et la présence calme et contemplative des traditions shinto-bouddhistes. Cette tension m’a fascinée et m’a conduite à explorer le concept de chinmoku, un silence plein de possibilités », se souvient la photographe.

Des photos et des mots

Les errances d’Eman Ali l’ont conduite à la rencontre de jeunes gens – pour la plupart des étranger·ères – dans les rues de Tokyo. « Iels naviguaient dans leurs propres espaces intermédiaires, remettant en question les idées traditionnelles de l’identité japonaise. Iels étaient métisses ou défiaient les rôles de genres établis », raconte-t-elle. L’autrice saisit leur portrait, pris entre les coutumes anciennes et la modernité, puis les intègre dans le processus créatif, leur laissant la possibilité de révéler leurs mondes à travers leurs mots. « La connexion est très importante pour moi. J’ai su dès le début que je ne voulais pas me contenter de faire des photos d’inconnu·es au hasard, soutient l’artiste. L’une de mes premières observations a été que les habitant·es de Tokyo ne s’expriment pas souvent ouvertement. On ne sait jamais vraiment ce que les gens ressentent. » Sur les images, tirées dans une chambre noire, de petits caractères se dessinent, des fragments, des poèmes, des pensées de celles et ceux photographié·es – des textes « parfois imprimés, parfois écrits à la main par la personne figurant sur la photo ». « Je voulais que le travail crée un sentiment d’humanité partagée. Même si nous ne nous ressemblons pas ou si nous ne parlons pas la même langue, nous avons les mêmes désirs, les mêmes peurs et les mêmes espoirs. C’est ce qui fait de nous des êtres humains », conclut-elle.

Portait d'une personne portant un hijab, derrière une plante
Saki, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Portrait d'une personne derrière une lumière en forme de fleur
Maimi, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Un portrait derrière une vitre
Narumi Konagano, In Praise of Silence © Eman Ali
Portrait d'une personne couleurs noir et jaune, écriture en japonais dessus
Yamato Kadowaki, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Portrait d'une personne métisse
Raimu, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
image d'une buste féminin avec un main qui tient la poitrine
Riona Yamashita, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
À lire aussi
Eman Ali et le périple de deux femmes émancipées dans un Oman rétrofuturiste (1/2)
Eman Ali et le périple de deux femmes émancipées dans un Oman rétrofuturiste (1/2)
Croisant photographie et intelligence artificielle, Banat Al Fi’9a (The Silver Girls) retrace le voyage initiatique de deux jeunes…
05 avril 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Eman Ali et le périple de deux femmes émancipées dans un Oman rétrofuturiste (2/2)
Eman Ali et le périple de deux femmes émancipées dans un Oman rétrofuturiste (2/2)
Croisant photographie et intelligence artificielle, Banat Al Fi’9a (The Silver Girls) retrace le voyage initiatique de deux jeunes…
12 avril 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Éléa-Jeanne Schmitter en zone trouble
© Éléa-Jeanne Schmitter
Éléa-Jeanne Schmitter en zone trouble
Die Tore – en allemand, « les portes » – a été publié dans le livre On Death édité par Humble Arts Foundation et Kris Graves Projects...
03 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Les coups de cœur #545 : Rose Guiheux et Maksim Semionov
Melvin and Milan's room, 2024 © Rose Guiheux
Les coups de cœur #545 : Rose Guiheux et Maksim Semionov
Rose Guiheux et Maksim Semionov, nos coups de cœur de la semaine, explorent l’individu dans son rapport à l’autre et à l’espace. Abordant...
02 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Love, de la série Huá biàn © Agathe Veidt
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Agathe Veidt saisit la fête et les chants de révolte au cœur d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen. De retour en France, elle tricote...
29 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Katrin Koenning et le deuil partagé du vivant
© Katrin Koenning, between the skin and sea / Courtesy of the artist and Chose Commune
Katrin Koenning et le deuil partagé du vivant
Photographe établie en Australie, Katrin Koenning signe between the skin and sea, un livre bouleversant paru chez Chose Commune en 2024....
27 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ilanit Illouz au bord de l'Etna
© Ilanit Illouz
Ilanit Illouz au bord de l'Etna
Le Studio de la MEP présente Au bord du volcan, une exposition d'Ilanit Illouz. Cette expérimentation visuelle et plastique à partir de...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Blue Screen of Death : Les photogrammes hybrides de Baptiste Rabichon
Blue Screen of Death © Baptiste Rabichon
Blue Screen of Death : Les photogrammes hybrides de Baptiste Rabichon
Baptiste Rabichon, artiste phare de la Galerie Binome, nous confronte à notre rapport ambigu aux images et à la technologie à travers...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Nadya Akane, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Eman Ali compose The Praise of Silence, fruit d’une résidence artistique à Tokyo. La photographe explore, dans un travail collaboratif...
11 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d'Arles 2025
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d’Arles 2025
Alors que la 56e édition des Rencontres de la photographie d’Arles approche à grands pas, la rédaction de Fisheye vous invite à...
11 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine