Eman Ali compose The Praise of Silence, fruit d’une résidence artistique à Tokyo. La photographe explore, dans un travail collaboratif, les différentes strates des identités qui évoluent dans la capitale japonaise.
Eman Ali a toujours aimé résoudre des puzzles, suivant son instinct. Pour l’artiste omano-bahreïnienne, la photographie est un moyen de révéler les couches cachées d’une histoire plus grande. En résidence à Tokyo, elle s’intéresse aux mythes locaux qu’elle considère comme « des vecteurs de transmission de leçons sur la moralité, l’éthique et la manière d’aborder la vie, que tout le monde peut comprendre, indépendamment du milieu ou de la classe sociale ». Puisant son inspiration dans l’Éloge de l’ombre (1933) de Jun’ichirō Tanizaki, elle sonde les interstices qui évoluent dans la culture japonaise, mettant un point d’orgue sur ce qui est omis, ancien ou jugé comme imparfait. « Je me suis souvent sentie dépassée par la vitalité de cette capitale et j’ai cherché des moments de tranquillité dans ce chaos. Il existe un fort contraste entre l’intensité de la vie urbaine et la présence calme et contemplative des traditions shinto-bouddhistes. Cette tension m’a fascinée et m’a conduite à explorer le concept de chinmoku, un silence plein de possibilités », se souvient la photographe.
Des photos et des mots
Les errances d’Eman Ali l’ont conduite à la rencontre de jeunes gens – pour la plupart des étranger·ères – dans les rues de Tokyo. « Iels naviguaient dans leurs propres espaces intermédiaires, remettant en question les idées traditionnelles de l’identité japonaise. Iels étaient métisses ou défiaient les rôles de genres établis », raconte-t-elle. L’autrice saisit leur portrait, pris entre les coutumes anciennes et la modernité, puis les intègre dans le processus créatif, leur laissant la possibilité de révéler leurs mondes à travers leurs mots. « La connexion est très importante pour moi. J’ai su dès le début que je ne voulais pas me contenter de faire des photos d’inconnu·es au hasard, soutient l’artiste. L’une de mes premières observations a été que les habitant·es de Tokyo ne s’expriment pas souvent ouvertement. On ne sait jamais vraiment ce que les gens ressentent. » Sur les images, tirées dans une chambre noire, de petits caractères se dessinent, des fragments, des poèmes, des pensées de celles et ceux photographié·es – des textes « parfois imprimés, parfois écrits à la main par la personne figurant sur la photo ». « Je voulais que le travail crée un sentiment d’humanité partagée. Même si nous ne nous ressemblons pas ou si nous ne parlons pas la même langue, nous avons les mêmes désirs, les mêmes peurs et les mêmes espoirs. C’est ce qui fait de nous des êtres humains », conclut-elle.