En quête du sensible

12 décembre 2019   •  
Écrit par Anaïs Viand
En quête du sensible

Anaïs Tondeur est convaincue d’une chose : le monde que nous sommes en train de détruire nous détruit aussi. Avec Noir de carbone, qui lui a valu le prix Ars Electronica 2019, la photographe plasticienne a fait l’expérience de la pollution atmosphérique. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Comment se fait-il que les arbres ne nous parlent plus ? Que le Soleil et la Lune se bornent désormais à décrire en aveugle un arc à travers le ciel ? Et que les multiples voix de la forêt ne nous enseignent plus rien ? »

, s’interroge David Abram, philosophe, artiste et écologiste américain. Dans son ouvrage Comment la terre s’est tue – Pour une écologie des sens, ce dernier déplore une interruption de la symbiose entre nos sens et le monde, due à une brutale mutation écologique. Anaïs Tondeur, fille de géophysicien de 34 ans, partage ce constat. « À travers ma pratique, j’essaie de créer des appâts afin de transformer notre relation à l’autre, humain ou non. Pour reprendre les mots d’Isabelle Stengers, philosophe des sciences, il est plus facile de sortir de l’impasse quand nous y sommes, car nous avons déjà construit et nourri un imaginaire dans lequel on peut puiser », avance l’artiste.

Après un parcours en design, elle a développé une démarche contemporaine et interdisciplinaire en intégrant le Royal College of Art, à Londres. « Pour sortir de cette crise écologique, pour aller plus loin, il est nécessaire d’assembler différents savoirs, regards, et d’impliquer plusieurs strates de la société en intégrant des philosophes comme des experts scientifiques… Je mène des actions auprès des publics aussi. Chacun doit s’emparer de ces sujets de société et explorer à son niveau. Et face à cette complexité, ma réponse ne peut se suffire d’un seul support », ajoute-t-elle.

© Anaïs Tondeur

Flux polluants

Anthropologues, physiciens, géologues, chimistes ou océanographes, dans la majorité de ses projets, Anaïs Tondeur développe une collaboration avec un chercheur en sciences sociales ou en sciences « dures ». Noir de carbone a été conçu au Centre commun de recherche (CCR ou JRC) de la Commission européenne avec deux physiciens de l’atmosphère : Jean-Philippe Putaud et Rita Van Dingenen. Cette dernière est spécialisée dans l’observation des flux polluants de l’atmosphère et a, entre autres, démontré que vivre loin des villes et des zones d’activités ne nous affranchissait pas nécessairement de la pollution. Les particules fines – principalement issues de la combustion incomplète d’hydrocarbures – se dispersent dans l’atmosphère jusqu’à atteindre des zones désertiques comme l’Arctique. « Les particules se déposent en fine couche sombre sur la glace et attirent le soleil. Indirectement, cela contribue à la hausse des mers, et donc au réchauffement climatique », précise la photographe, qui a eu l’idée de suivre le parcours d’une particule fine.

Le jeu de piste a débuté sur Fair, l’île la plus isolée de Grande-Bretagne, située entre les Orcades et les Shetlands. Cinquante habitants, quelques véhicules, aucune industrie, et pourtant les insulaires suffoquent. « Arrivée sur place, j’ai envoyé mes coordonnées GPS à Rita et, grâce à un système qui définit les parcours et le point d’émission des particules, nous avons pu constituer une cartographie de leurs trajectoires. Durant quinze jours – en bateau, en bus, ou à pied –, j’ai suivi l’une d’entre elles, en sens inverse », explique-t-elle. À chaque journée d’expédition correspond une image du ciel ainsi qu’un masque respiratoire recueillant les particules de noir de carbone. Lesquelles ont été extraites par les physiciens et transformées en encre. Chacun des tirages contient en partie le noir de carbone prélevé le jour de la prise de vue. Un protocole qu’elle partage lorsqu’elle expose. Un projet, ou plutôt une enquête, qui donne corps aux problèmes créés par l’homme.

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #39, en kiosque et disponible ici.

© Anaïs Tondeur

© Anaïs Tondeur© Anaïs Tondeur

© Anaïs Tondeur

© Anaïs Tondeur© Anaïs Tondeur

© Anaïs Tondeur

© Anaïs Tondeur

Explorez
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
© Juliette-Andréa Élie / Fondation Avril
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
Jusqu’au 12 octobre 2025, la 3e édition de la biennale Photoclimat prend ses quartiers à Paris. De la place de la Concorde à celle de...
27 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L'engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
© Sophie Alyz
L’engagement écologique et la photographie : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici s’emparent de leur médium pour raconter des récits d’engagement environnemental....
25 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Zone i 2025 : faire vivre les images au temps présent
© Martin Bogren
Zone i 2025 : faire vivre les images au temps présent
La 7e édition des Rencontres Image & Environnement de Zone i a eu lieu du 12 au 14 septembre 2025 à Thoré-la-Rochette, dans le...
24 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Polaraki : une collection de polaroids d'Araki sort d'un appartement parisien
Sans titre, Araki Nobuyoshi 1990 -2024 © Nobuyoshi Araki © Musée Guimet, Paris, Nicolas Fussler
Polaraki : une collection de polaroids d’Araki sort d’un appartement parisien
Jusqu'au 12 janvier 2026, le musée des arts asiatiques - Guimet accueille une collection foisonnant de polaroids, issue de l’œuvre du...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet