Et Wataru Igarashi entra dans la transe

05 septembre 2024   •  
Écrit par Milena III
Et Wataru Igarashi entra dans la transe
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi

Série au long cours, Spiral Code a pris, l’année dernière, la forme d’un publié chez The Photobook Review et shortlisté pour le Arles Book Award 2024. Grâce à Wataru Igarashi, son auteur, nous visitons des temples sacrés en Inde, et on plonge dans un univers étrange d’existences invisibles qu’invoquent des milliers de personnes à la recherche d’une guérison sur cette Terre.

« Début 2011. Je logeais sous l’auvent d’un sanctuaire dans la ville de Pokhran, dans l’État du Rajasthan. Un jour, la femme de mon propriétaire s’est mise à hurler en pleine rue, comme si elle avait perdu la raison. Elle m’a alors emmené dans ce sanctuaire qui, selon la rumeur, guérit les handicaps et les troubles mentaux grâce à un champ magnétique puissant. » Ainsi commence le récit d’une aventure qui mena, un beau jour, un photographe japonais séjournant en Inde à la lisière du monde des esprits et des phénomènes immatériels. Une foule de personnes, pour beaucoup des handicapé·es ou des malades mentaux·ales – considéré·es comme parias de leur société – prient collectivement dans une transe gigantesque. Sa première réaction ? La peur, l’angoisse, et la paralysie à l’idée de sortir son appareil photographique. Puis, le temps s’écoule. Aidant les un·es et les autres à se nourrir, il se familiarise peu à peu avec elleux et s’habitue au lieu. « Au cours des neuf années suivantes, j’ai passé plus de 400 jours dans cinq sanctuaires différents, jusqu’à ce que la pandémie de coronavirus s’empare du monde », explique-t-il.

© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi

Photographier l’expérience mystique au plus près

Au total, ce sont cinq lieux arpentés et capturés entre 2010 et 2019 par Wataru Igarashi que nous traversons dans Spiral Code. « J’ai photographié la souffrance humaine qui transcende les frontières raciales, étatiques et religieuses, annonce-t-il. Je suis allé au-delà de mon bon sens, afin de capturer le pouvoir de guérison naturel du cœur et la puissance tellurique – des choses bien difficiles à expliquer avec des mots. » Le photographe pénètre en effet dans le domaine obscur mais éclairant du subconscient, à la fois entièrement à notre portée, et intraduisible par le langage humain. Prenant soin de ne pas trop s’approcher de ses modèles, ou demeurant au contraire auprès d’elleux jusqu’à ce qu’iel ne remarquent plus sa présence, il documente l’existence autour de lui, avec le point de vue singulier d’un artiste insoumis aux genres photographiques. Il nous semblerait presque entendre les cris des croyant·es et sentir la ferveur et la passion avec laquelle iels sont pris dans leur extase. Sur l’une des images, une femme, recroquevillée dans un trou dans le sol, est en train de dormir. « Elle a l’air si authentique, ressentant le pouvoir de guérison de la Terre », s’enthousiasme-t-il à son propos. 

Un espace où le temps suit une logique cyclique

Au milieu de la poussière et du sable virevoltants, des humain·es de tous âges engagent leur corps et leur esprit dans un vertige qui ne semble connaître aucune fin. Dans cet espace déconcertant, le temps tel que nous le mesurons n’existe pas : il est plutôt celui d’une vie, faite de cycles de morts et de renaissances perpétuelles – à l’image du kalachakra (ou « roue du temps », du sanskrit chakra), qui traverse les principales traditions religieuses et philosophiques indiennes, de l’hindouisme au jaïnisme. Ces mouvements cycliques successifs font progresser l’univers vers un objectif, celui de l’illumination. Ces endroits reculés, dit-on, possèderaient des qualités magnétiques, raison pour laquelle ces milliers d’individus viennent jusqu’en ces lieux chercher une forme de soin. « Le champ magnétique révèle le dynamisme et la sauvagerie inhérents à l’humanité, et renforce notre pouvoir de guérison naturel grâce à la croyance en un être supérieur et au pouvoir de la Terre », affirme Wataru Igarashi. De quoi déstabiliser vivement l’artiste, qui a grandi dans un Japon où domine la médecine moderne. Au fil du temps, il se découvre lui-même une foi, ou du moins « un espoir », selon ses mots, qui lui paraît au fond être en lui depuis toujours et avoir simplement été réveillé par la puissance de cette expérience. 

© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
© Wataru Igarashi
Texte par Wataru Igarashi et Marc Feustel
Anglais et japonais
25 x 21 cm
92 pages
55€
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