La famille de Matthew Avignone, photographe américain de 30 ans, est unique. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq frères et sœurs, tous venus de pays différents. Leur enfance, dans une petite ville des États-Unis, soulève bien des questions de la part des habitants. Stranger than Family illustre avec une grande affection, la normalité de cette famille exceptionnelle.
Fisheye : Comment la photographie est-elle entrée dans ta vie ?
Matthew Avignone :
J’ai découvert la photographie quand j’étais très jeune, grâce à un Polaroid, offert par ma mère. Une fois à l’université, alors que j’étudiais l’ingénierie mécanique, j’ai pris un cours de photo et je suis tombé amoureux du médium. Lorsqu’on commence, tout semble intéressant, et j’ai eu la chance d’avoir un professeur qui m’a poussé à l’exploration. Je me suis ensuite inscrit à Columbia College, à Chicago, une école d’art au cours de photo renommé.
Qu’aimes-tu photographier ?
Mes goûts ont évolué avec le temps. Toutes mes séries sont reliées par un thème commun : les gens et leur histoire. J’ai d’abord été intéressé par la représentation de l’humain. Ces deniers temps, c’est la spiritualité qui m’attire, l’invisible. J’aime travailler avec la nature et faire interagir avec elle des objets et des personnes.
Comment Stranger than Family a-t-il vu le jour ?
C’était tout d’abord un projet technique, qui a commencé avec sept portraits de ma famille. J’ai choisi de les photographier pour la simple raison qu’ils étaient à ma disposition, mais c’est en partageant les clichés avec mes camarades de classe, et lorsque leurs questions ont fusé – « Qui sont ces personnes ? » « Pourquoi sont-ils tous d’origine différente ? » – que j’ai réalisé que ma famille était passionnante. Quatre mois plus tard, j’ai présenté le début de mon travail à l’un de mes professeurs, qui m’a poussé à continuer.
Tu as donc suivi son conseil ?
Oui, chaque week-end, je rentrais chez moi et je photographiais ma famille. Après un an de prises de vue, le projet a commencé à se développer. Composer mes images était un véritable défi, puisque nous vivions dans un ranch, avec un jardin qui donnait sur l’autoroute – un paysage qui ne me plaisait pas particulièrement. J’étais inspiré par l’ouvrage Pictures from Home, de Larry Sultan, qui avait incorporé différents documents dans son histoire, pour en faire un récit original. J’ai donc commencé à fouiller dans les vieilles photos de mes parents. Cela m’a aidé à raconter ma propre histoire. Finalement, l’écrire entièrement m’a pris quatre ans.
Ta famille est passionnante, comment s’est-elle formée ?
Ma mère a toujours rêvé d’être à la tête d’une grande famille. Mes parents ont longtemps essayé d’avoir un enfant, sans succès. Après plusieurs tentatives d’adoptions infructueuses aux États-Unis – les mères biologiques ont le droit de changer d’avis jusqu’au dernier instant – ils se sont tournés vers la Corée. En 1988, cependant, pendant les Jeux olympiques organisés dans le pays, la presse a laissé entendre que beaucoup d’enfants coréens étaient donnés à l’adoption. Vexée, la nation a alors considérablement baissé le nombre d’adoption d’enfants en bonne santé. Mes parents ont donc décidé de recueillir un bébé aux besoins particuliers.
Ce passé atypique t’a-t-il influencé en tant que photographe ?
Grandir dans une petite ville américaine m’a plus influencé que l’originalité de ma famille. Lorsque j’étais jeune, j’observais mes amis, qui étaient tous blancs, et j’espérais pouvoir leur ressembler. Découvrir la photographie m’a aidé à assumer ma différence, et à l’utiliser dans mon travail.
Comment as-tu utilisé cette différence dans Stranger than Family ?
J’ai pris le rôle d’un détective, fouillant dans les souvenirs de ma famille à la recherche d’histoires. J’essayais de démêler le vrai du faux, en menant l’enquête. Il fallait que ma narration soit claire, à travers mes images. C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas respecter un ordre chronologique, d’ailleurs. J’ai pris la liberté de réarranger le passé, de jouer avec les clichés anciens, plus terre à terre, et les images contemporaines, plus libres.
Sur l’une des pages du livre, par exemple, on peut voir une photo de ma sœur Jamie, portant sa fille dans ses bras, et en face, un cliché de ma mère portant ma sœur Alicia de la même manière, une image très révélatrice, qui témoigne de l’amour maternel, qu’il soit lié par le sang ou non.
Comment as-tu rendu ce portrait de famille unique ?
Durant les quatre ans de création, mon approche photographique a évolué. Stranger than Family est composée de plusieurs formats différents : numérique, moyen format, compact… Tous ces changements ont donné des images aux styles différents, certains plus intuitifs que d’autres. Ils ont changé le ressenti des images. Ma famille a également été d’une grande aide, je pouvais les placer dans l’espace, leur dire de se tourner d’un côté ou d’un autre, tout en gardant un certain naturel.
Enfin, j’avais toujours en tête cette certitude qu’il fallait éviter à tout prix de réaliser une « photo de famille » classique !
© Matthew Avignone