« Féminin » : un amour commun pour l’autre

10 février 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Féminin » : un amour commun pour l’autre

La galerie Agathe Gaillard présente l’exposition Féminin, pensée par Fiona Sanjabi, directrice artistique. Un événement faisant dialoguer trois femmes artistes d’époque et d’esthétique différentes.

Trois femmes photographes, et autant de générations, écritures et sensibilités différentes. L’exposition Féminin, présentée par la Galerie Agathe Gaillard fait dialoguer les récits de ses artistes aux visions nuancées, réunies par un engagement commun pour l’autre. Pensé en deux temps, en deux accrochages, l’événement présente les œuvres de Martine Barrat, Maya Mercer et Fiona Mackay. « Les images proviennent des années 1980 à aujourd’hui. Certaines brillent par leur élégance, d’autres sont plus conceptuelles », commente la galeriste Jeanne Grouet. Jouant avec les esthétiques et les modes de représentation, l’espace alterne petits et grands tirages, photographie sociale et expérimentale, et même mises en scène. Dans cet ensemble contrasté, une vision du féminin, multiple et passionnante, émerge.

Une grâce touchante

Arrivée à New York en 1968, Martine Barrat s’envole ensuite pour Paris, où elle travaille pour Libération avant de se consacrer à la photographie. « Son parcours est unique, elle est aussi à l’aise aux côtés d’Yves Saint Laurent, qui a écrit sur elle, qu’au cœur de La Goutte d’Or, qu’elle capture durant de nombreuses années », explique Jeanne Grouet. C’est dans ce quartier multiculturel de Paris que les tirages de l’artiste nous emmènent, avant de se tourner vers Harlem, à l’occasion du second accrochage. Les portraits monochromes révèlent la beauté des habitants, avec une grâce touchante. Parmi ses sujets, Mamadou, un petit garçon à l’air malicieux, qui semble fasciner l’auteure. « Il se présente aujourd’hui aux élections municipales du 18e arrondissement ! », précise la galeriste.

Au sous-sol, les grands formats de Fiona Mackay, photographe australienne d’une trentaine d’années, impressionnent. Des natures mortes étranges aux fleurs prisonnières de cellophane. On devine une sensualité très forte dans ces images. La cellophane, matière collante et brillante, prend à tour de rôle la forme d’un écran protecteur et d’un film étouffant, allégorie d’une présence aussi séduisante que nuisible. « Et puis, les fleurs fanent, tout comme la beauté – c’est un sujet très libre d’interprétation », ajoute Jeanne Grouet. Passionnée par la représentation des femmes dans notre société contemporaine, Fiona Mackey dévoilera dans un second temps ses Staged interiors, des clichés pris depuis sa webcam, représentant les chambres vides de prostitués. Une manière d’interroger cette pratique ancestrale à l’ère d’Internet.

© Martine Barrat

© Martine Barrat

Un portrait mordant de l’Amérique

Fille de dramaturge, Maya Mercer, artiste britannique installée en Californie, se tourne quant à elle vers la mise en scène pour photographier ses modèles. « Elle s’est rendue à Marysville, une ville fantôme des États-Unis pour capturer un groupe d’adolescentes. Elle les suit maintenant depuis plusieurs années », explique la galeriste. Perdues dans un territoire conservateur, coupées de tout, ces jeunes filles représentent les « white trash » américains (terme d’argot décrivant la population blanche et pauvre). Drogue, misère et prostitution rythment leur quotidien. « Pourtant, il n’y a aucun misérabilisme dans les images de Maya Mercer. Au contraire, elle fait vivre un conte de fées à ses modèles », poursuit-elle.

Car dans les œuvres de l’artiste, les filles deviennent des stars. Maquillées, déguisées, elles quittent, l’espace d’un instant, leur quotidien. La photographe joue avec les mises en scène et les couleurs pour créer un monde irréel, porteur d’espoir, mais aussi terriblement lointain. Dans cette utopie aux couleurs soutenues, des accessoires, çà et là, rappellent le triste sort des modèles : un pistolet, un eye-liner trop marqué, cachant des bleus ou de simples larmes… Des légendes, inscrites en rouge, viennent compléter les images. Des courtes histoires aussi tendres qu’ironiques. À travers ces saynètes théâtrales, l’auteure parvient à faire un portrait mordant de l’Amérique. Une terre de rêves brisés enfermant ses enfants dans un quotidien démoralisant.

© Martine Barrat© Martine Barrat

© Martine Barrat

© Fiona Mackay

© Fiona Mackay

© Fiona Mackay© Fiona Mackay

© Fiona Mackay

© Maya Mercer© Maya Mercer© Maya Mercer

© Maya Mercer

Image d’ouverture : © Maya Mercer

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