Le festival Circulation(s) n’en finit pas de faire briller la jeune photographie européenne. Dans l’un des cubes de l’espace central du Centquatre Paris, encore visible jusqu’au 6 juin, Forgotten in the Dark, vidéo du photographe et réalisateur Tom Kleinberg, en est une des pépites hypnotiques.
Travail réfléchi et léché, Forgotten in the Dark retranscrit en tableau « la poésie des corps qui danse et la beauté de la nuit ». Nourri par l’esthétique de Wong Kar Wai ou Tsai Ming Liang « qui ont tous deux une relation avec le nocturne, l’urbain et la contemplation », Tom Kleinsberg s’est également plongé dans le monde des ballrooms, à la fois compétition de danse et défilé de mode. Un univers à part malgré lui. Menés par la voix d’un·e maître·sse de cérémonie, ces derniers sont, à l’origine, des lieux créés et conçus par les communautés LGBTQIA+ racisées, noires et latinas. Mais ces espaces de libertés essaiment aujourd’hui aussi en Asie comme autant de mondes nocturnes échappant aux normes diurnes où la liberté se dit moins par la musique que par une danse virtuose et technique. L’idée du film germe d’abord à Taiwan où Tom Kleinberg passe un an et demi, notamment en tant que photographe dans un cabaret de drag queens. Puis d’autres lieux s’imposent : Paris, et Séoul. « C’était une façon de démontrer que cette culture possède un langage universel intercontinental. C’était également une manière de mettre en lumière la façon dont les personnes queers peuvent être encore plus marginalisées en Corée » résume l’artiste. Construite autour du récit d’un Griot (un conteur traditionnel africain, ndlr), Matyouz Owen, légende des ballrooms parisien et « mère mondiale » de la Maison Owens, la première Ballroom française, Forgotten in the Dark donne ainsi à contempler – et à entendre – des corps dansant, souvent seuls, dans des espaces urbains déserts – le marché de Gwangjiand notamment – comme autant de figures mythologiques locales, enfermées dans une forme d’existence encore reléguée aux marges, mais déjà mondiale. Lorsque le jour se lève, dernier tableau de l’œuvre, un chœur de danseur·ses, tourbillonne sur le toit d’une tour avec la beauté de demi-dieux, et la force d’un collectif arraché, enfin, au ciel commun.