Glitch art : Camille Raviart tord les données pour exprimer sa sensibilité

05 septembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Glitch art : Camille Raviart tord les données pour exprimer sa sensibilité
© Strangers Collective / Modèle : Léa, @birousse.modele / Photographe : Tom Jambon @tom_jambon

Designer installé à Lille, Camille Raviart, alias Strangers Collective se spécialise dans le glitch art. S’appropriant des images libres d’accès, il érige un univers monochrome au sein duquel les distorsions provoquent l’émotion.

C’est au contact de son père, photographe amateur qui développait lui-même ses pellicules argentiques, que Camille Raviart a commencé à s’intéresser au médium. « Déjà à l’époque, je pense que mon intérêt se fixait davantage sur le procédé de développement que sur la prise de vue en elle-même », se souvient-il. Commençant à expérimenter avec un Kodak, il intègre ensuite, après l’obtention de son baccalauréat, une année préparatoire aux arts appliqués – un véritable déclic. « Grâce à cette formation, j’ai pu découvrir que j’étais davantage fasciné par le graphisme et le design. Pendant l’année, j’ai découvert une discipline plutôt obscure à l’époque : le glitch art. Si j’ai d’abord considéré sa pratique inaccessible – car trop technique et confidentielle – j’ai finalement trouvé le moyen de m’y plonger », précise-t-il.
Graphique, impressionnante, la technique consiste à venir corrompre le code source d’une image afin de modifier, de dégrader son affichage. « J’utilise une méthode plutôt simple : j’affiche le code source dans un éditeur de code hexadécimal et je le modifie ensuite manuellement, précise l’auteur. Pour arriver à un résultat que je juge satisfaisant, il n’est pas rare que je doive itérer plus de cent fois la même image. » Une déconstruction lente, aléatoire du visuel originel lui offrant une autre vie, plus abstraite, plus chaotique. Exploitant des ressources libres d’accès, telles que les archives de grandes bibliothèques – notamment la Library of Congress de Washington –, Camille Raviart développe ainsi, depuis une dizaine d’années, une collection de créations monochromes tordant les frontières du réel pour obtenir des portraits décousus et redoutablement fascinants.

Faire naître émotion brute à coups de bugs

Silhouettes fantasmagoriques, visages pixellisés, fondus extravagants… Dans l’univers de celui qui se nomme Strangers Collective sur Instagram, les corps volent en éclat, se fragmentent en données pour mieux tordre notre perception. « Durant mes études, j’ai développé un réel attrait pour le portrait, mais je n’ai jamais réellement eu envie de photographier moi-même les sujets. D’autant plus que j’ai toujours préféré les clichés d’inconnus et le fait de pouvoir contempler leurs émotions figées. Utiliser ce type de photos pour réaliser les data bending est le parfait mélange de deux éléments qui me passionnaient à l’époque », raconte-t-il. Une corruption aux nuances psychédéliques, sombres qu’il enrichit à travers les images sélectionnées – convoquant souvent des figures de la scène rock. « Je suis fan inconditionnel de Nine Inch Nails depuis l’adolescence. À cette époque, j’ai découvert Twitter, et le compte de Rob Sheridan, ancien directeur artistique du groupe. Il a toujours expérimenté diverses techniques et approches visuelles, donnant ainsi une très forte identité visuelle à chacun des albums », raconte l’artiste. Et parmi ces explorations, le glitch art fait son apparition. « C’est ainsi que j’ai découvert ce mouvement artistique alors nouveau pour moi », affirme Camille Raviart.
Observer les images « corrompues » de l’auteur, c’est laisser entrer le numérique dans une réalité ancrée pour mieux la détraquer. C’est faire naître une émotion brute à coup de bugs et de distorsions. Sur les images, les éléments frôlent l’abstraction, se dédoublent et se déploient pour nous perdre dans un tourbillon étrange, à la fois inconnu et familier. Un panel complexe de sensations venant, selon l’artiste, à l’encontre de l’avènement de l’intelligence artificielle. « Je vois l’intégration de l’IA comme une tentative d’obtenir un résultat parfait et normé rapidement, ce qui est l’extrême inverse de ce que le data bending me permet de produire. Il serait difficile d’imaginer demander à une machine de détruire une image jusqu’à ce que le résultat lui évoque une émotion ! », affirme-t-il d’ailleurs. Alors, au cœur de cet univers dénaturé, il nous faut finalement retrouver l’essence des images, le détail le plus minutieux pour parvenir à extirper le « vrai », toujours présent dans la déformation. Cette fraction de vérité qui survole les glitch pour réussir à nous toucher.

À lire aussi
Lumière sur les finalistes du Prix Fisheye de la création visuelle : Matthias Pasquet, Cristobal Ascencio et Elsa Leydier
© Cristobal Ascencio
Lumière sur les finalistes du Prix Fisheye de la création visuelle : Matthias Pasquet, Cristobal Ascencio et Elsa Leydier
Raconter, inspirer, révéler… La trilogie qui nous sert de boussole pour composer chaque numéro de Fisheye a été précieuse pour départager…
04 août 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Focus #54 : Elsa Leydier et les dissonances de l'Amérique latine
06:37
Focus #54 : Elsa Leydier et les dissonances de l’Amérique latine
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, avec Transatlántica, un corpus photographique de trois séries, Elsa Leydier dévoile…
26 juillet 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Noémie Goudal interroge avec ses trompe l'œil l’origine du monde
Noémie Goudal interroge avec ses trompe l’œil l’origine du monde
Le Grand Café de Saint-Nazaire accueille, jusqu’au 2 janvier 2022, Post Atlantica, une collection d’œuvres de Noémie Goudal encore jamais…
15 octobre 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
© Strangers Collective
Explorez
Fury, l'univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Sans titre #90, Campus Univers Cascades, 2023, extrait de la série Fury, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Marie Quéau / ADAGP, Paris, 2025
Fury, l’univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Jusqu’au 8 février 2026, Marie Quéau, cinquième lauréate du prix Le Bal/ADAGP de la Jeune Création, présente Fury. Dans cette exposition...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Éternel été, mémoire et masculinité : nos coups de cœur photo de novembre 2025
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon
Éternel été, mémoire et masculinité : nos coups de cœur photo de novembre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
28 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
© Viviane Sassen
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
Nouvelle invitée du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, Viviane Sassen a déroulé le fil intime et créatif de son œuvre au cours d’une...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #534 : film noir
© Lux Corvo / Instagram
La sélection Instagram #534 : film noir
Alors que les jours s’assombrissent et que la nuit domine, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine nous plongent dans les...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
Anish © Arhant Shrestha
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent d’héritage et de métamorphoses, et vous offrent même une autre...
30 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
Rikka, la petite Balinaise, Fernand Nathan, Paris, 1956 © Dominique Darbois, Françoise Denoyelle.
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Fury, l'univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Sans titre #90, Campus Univers Cascades, 2023, extrait de la série Fury, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Marie Quéau / ADAGP, Paris, 2025
Fury, l’univers « crépusculaire » de Marie Quéau
Jusqu’au 8 février 2026, Marie Quéau, cinquième lauréate du prix Le Bal/ADAGP de la Jeune Création, présente Fury. Dans cette exposition...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
© Guillaume Barth
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
Jusqu’au 22 février 2026, Chaumont-Photo-sur-Loire vous donne rendez-vous avec la nature. Pour sa 8e édition, l’événement accueille...
28 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet