128 pages
25 €
Jean Ranobrac est artiste et photographe. Magicien de la retouche, il est connu pour ses univers queers déjantés. Après avoir arpenté les nuits parisiennes et le monde de la fête, notamment à travers les soirées Kindergarten, il s’établit comme portraitiste. En 2024, il publie son premier livre, Icônes Drag , avec Daphné Bürki, coprésentatrice de l’émission Drag Race France, à laquelle il participe en tant que photographe invité. Pour Fisheye, il présente sa série Man on Canvas, qui revisite les codes de la peinture romantique en adoptant un prisme pop et queer.
Fisheye : Peux-tu nous raconter ton parcours de photographe ?
Jean Ranobrac : J’ai commencé la photo comme d’autres commencent un journal intime. Je fixais dans le temps mes rencontres et mes moments, et dans ma chambre, je transformais mes ami·es en superstars, avec des tentatives plus ou moins réussies de recréer des images iconiques. Puis, je me suis dit que, quitte à jouer avec la lumière, autant comprendre comment elle fonctionne : direction un BTS pour décortiquer tout ça. Ensuite, Paris m’a accueilli avec trois années d’études photo plus professionnalisantes. Depuis, je jongle entre projets perso, commandes photos et retouches.
Quelles sont les principales inspirations de ton travail ?
J’ai grandi dans les musées, entouré de toiles et de sculptures, des peintres du romantisme, du réalisme, des icônes religieuses : tout ça m’a appris l’art de la symétrie et du symbolisme. Mais je suis aussi un enfant de la pop culture, avec un goût prononcé pour les cabarets, les drags et l’avant-garde. En gros, mes inspirations vont de la Joconde à Lady Gaga, en passant par un soupçon de RuPaul et d’Iris Van Herpen.
Peux-tu nous parler de la série Men on Canvas ?
Men on Canvas est une série personnelle que j’ai réalisée avant tout pour le plaisir. Ces projets me permettent de créer des images percutantes tout en partageant des moments agréables avec mes modèles, qui sont souvent des amis proches. Ici, j’ai voulu explorer et revisiter l’utilisation du nu masculin dans l’histoire de la peinture. En remplaçant les corps peints par des photographies contemporaines, j’ai cherché à actualiser ces œuvres iconiques en y intégrant des personnes bien vivantes. C’était une manière pour moi de rendre hommage aux études du corps masculin tout en leur offrant une nouvelle perspective.
Tu es aussi habile en photographie qu’en retouche. Quelle en est ton approche ? Comment l’as-tu utilisée sur Men on Canvas ?
Au début de mon parcours, avec des espaces limités et un matériel restreint, j’ai dû m’adapter pour obtenir les rendus que j’avais en tête. La retouche est rapidement devenue un outil essentiel, transformant l’acte photographique en une étape parmi d’autres dans une composition graphique plus large. La photographie, pour moi, sert de lien social, connectant des personnes à travers des projets et des instants partagés. La retouche, en revanche, est un espace de création pure, où tout devient possible dès lors qu’on en a l’idée. Dans Men on Canvas, elle m’a permis d’actualiser les inspirations classiques en jouant sur les textures, les couleurs et les détails pour donner une nouvelle vie aux références historiques. Avec mes collaborations, notamment avec des drags et leurs visions audacieuses, j’ai souvent été poussé à repousser mes limites, ce qui a enrichi mon approche créative.
Tes images contribuent à visibiliser des imaginaires queers, particulièrement drag. En quoi la photographie peut-elle participer à changer les regards d’une société ?
La photographie est un puissant levier pour transformer les perceptions sociales. En capturant des visuels vibrants et authentiques du drag, je cherche à dépasser les stéréotypes et à montrer la richesse de cet art comme une véritable forme d’expression culturelle. Mes images offrent une fenêtre sur des univers où la liberté et l’audace s’épanouissent, invitant le·a spectateur·ice à une réflexion intime sur la diversité et l’authenticité. En rendant visibles ces imaginaires queers, la photographie devient un outil de sensibilisation et de dialogue capable de déconstruire les préjugés et d’encourager une acceptation plus profonde de toutes les identités dans notre société.