Jusqu’au 5 octobre 2024, la Galerie Marian Goodman consacre une exposition à Joanna Piotrowska dans son espace parisien du 66, rue du Temple. Au fil de ses œuvres, la photographe polonaise compose un univers singulier autour de l’intime et de l’étrangeté qui peut s’en dégager.
Dans les méandres du Marais, une large vitrine attire le regard. À l’intérieur, le sol est recouvert d’une moquette entre le rose incarnat et le fameux shocking pink forgé par Elsa Schiaparelli dans les années 1930. Un rideau de velours assorti achève de structurer ce premier espace. Sur ses murs, comme sur ceux d’une salle blanche, à l’arrière, se découvrent les monochromes de différentes séries de Joanna Piotrowska. Cette dernière s’intéresse au langage des couleurs et cette nuance féminine porte en elle une force latente, que nous retrouvons dans ses compositions à la limite du surréalisme. Une femme dans une pose lascive fait ainsi face à une rose géante qui dissimule une silhouette masculine. Depuis son canapé, elle surplombe un homme en fleur. Dans ce monde, les lieux communs semblent renversés. Plus loin, dans d’autres collages, les visages se mêlent, les mains en font de même. Parfois, des êtres sans regard apparaissent çà et là dans des étreintes, et les reflets se dédoublent. Une présence mystérieuse traverse les images.
Un huis clos où se conjuguent passé et présent
« Je me concentre toujours sur la mise en scène et les gestes, le travail avec le corps, l’organisation de certaines situations entre les personnes, ou entre les personnes et leur environnement. Il s’agit d’une activité performative, c’est pourquoi je dis souvent que mes photographies sont des documentations de petites performances », expliquait Joanna Piotrowska en 2020, comme le rapporte la Galerie Marian Goodman. Dans ses tirages argentiques, une constante se dégage en effet. Des modèles se livrent à des chorégraphies, à un langage sourd. Cette atmosphère étrange et onirique fait écho à la mémoire de l’artiste et à notre inconscient collectif. Le bois et les étoffes présents dans les collages rappellent alors les meubles qui étaient populaires dans la Pologne de son enfance. Une coupelle de cristal inutilisée et un diptyque fait de chevaux de bronze soulèvent le secret de ces objets du quotidien qui subsistent malgré les années. Comme les corps, ces éléments ordinaires, trouvés dans des appartements inoccupés repérés en ligne, sont pétris de leur propre histoire et éveillent la curiosité.
L’épais rideau suggère finalement le théâtre autant que l’intimité d’une demeure. La scénographie nous confine dans un huis clos où se conjuguent passé et présent au travers d’étonnantes réunions. Celles-ci se matérialisent par fragments, jouant sur les échelles, les cadrages serrés ou resserrés au moyen d’un agrandisseur. Ici, deux sœurs côte à côte ne forment plus qu’un même visage. Une mère et sa fille sont si proches qu’un léger mouvement suffirait à ce que leurs bouches s’effleurent. Sur un portrait de sa propre mère, datant des années 1980 et ayant été retrouvé dans une boîte de négatifs, Joanna Piotrowska a ajouté un photogramme de son profil. L’artiste superpose de cette façon le temps présent à celui qui a précédé sa naissance, le regard de son père à celui qu’elle pose sur la figure maternelle. La mémoire se distille dans chacun des clichés et réinvente, tout compte fait, les lieux que nous habitons.