Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime

13 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant des gestes
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery

Jusqu’au 5 octobre 2024, la Galerie Marian Goodman consacre une exposition à Joanna Piotrowska dans son espace parisien du 66, rue du Temple. Au fil de ses œuvres, la photographe polonaise compose un univers singulier autour de l’intime et de l’étrangeté qui peut s’en dégager. 

Dans les méandres du Marais, une large vitrine attire le regard. À l’intérieur, le sol est recouvert d’une moquette entre le rose incarnat et le fameux shocking pink forgé par Elsa Schiaparelli dans les années 1930. Un rideau de velours assorti achève de structurer ce premier espace. Sur ses murs, comme sur ceux d’une salle blanche, à l’arrière, se découvrent les monochromes de différentes séries de Joanna Piotrowska. Cette dernière s’intéresse au langage des couleurs et cette nuance féminine porte en elle une force latente, que nous retrouvons dans ses compositions à la limite du surréalisme. Une femme dans une pose lascive fait ainsi face à une rose géante qui dissimule une silhouette masculine. Depuis son canapé, elle surplombe un homme en fleur. Dans ce monde, les lieux communs semblent renversés. Plus loin, dans d’autres collages, les visages se mêlent, les mains en font de même. Parfois, des êtres sans regard apparaissent çà et là dans des étreintes, et les reflets se dédoublent. Une présence mystérieuse traverse les images. 

Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant un vide-poche en cristal
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant deux femmes sans visage
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery

Un huis clos où se conjuguent passé et présent

« Je me concentre toujours sur la mise en scène et les gestes, le travail avec le corps, l’organisation de certaines situations entre les personnes, ou entre les personnes et leur environnement. Il s’agit d’une activité performative, c’est pourquoi je dis souvent que mes photographies sont des documentations de petites performances », expliquait Joanna Piotrowska en 2020, comme le rapporte la Galerie Marian Goodman. Dans ses tirages argentiques, une constante se dégage en effet. Des modèles se livrent à des chorégraphies, à un langage sourd. Cette atmosphère étrange et onirique fait écho à la mémoire de l’artiste et à notre inconscient collectif. Le bois et les étoffes présents dans les collages rappellent alors les meubles qui étaient populaires dans la Pologne de son enfance. Une coupelle de cristal inutilisée et un diptyque fait de chevaux de bronze soulèvent le secret de ces objets du quotidien qui subsistent malgré les années. Comme les corps, ces éléments ordinaires, trouvés dans des appartements inoccupés repérés en ligne, sont pétris de leur propre histoire et éveillent la curiosité. 

L’épais rideau suggère finalement le théâtre autant que l’intimité d’une demeure. La scénographie nous confine dans un huis clos où se conjuguent passé et présent au travers d’étonnantes réunions. Celles-ci se matérialisent par fragments, jouant sur les échelles, les cadrages serrés ou resserrés au moyen d’un agrandisseur. Ici, deux sœurs côte à côte ne forment plus qu’un même visage. Une mère et sa fille sont si proches qu’un léger mouvement suffirait à ce que leurs bouches s’effleurent. Sur un portrait de sa propre mère, datant des années 1980 et ayant été retrouvé dans une boîte de négatifs, Joanna Piotrowska a ajouté un photogramme de son profil. L’artiste superpose de cette façon le temps présent à celui qui a précédé sa naissance, le regard de son père à celui qu’elle pose sur la figure maternelle. La mémoire se distille dans chacun des clichés et réinvente, tout compte fait, les lieux que nous habitons.  

Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant une femme surplombant une rose géante
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant une femme au reflet dédoublé
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant des chevaux de bronze en diptyque
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant une femme et un profil blanc
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant un collage de portraits
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Photographie en noir et blanc de Joanna Piotrowska montrant deux sœurs côte à côte
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
À lire aussi
Quand l’étranger devient intime : les dialogues ininterrompus de Jana Sojka
© Jana Sojka
Quand l’étranger devient intime : les dialogues ininterrompus de Jana Sojka
Jana Sojka imagine des diptyques afin de donner cours à un dialogue ininterrompu. Dans un nuancier crépusculaire lui inspirant sérénité…
17 mai 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Collages surréalistes : les identités florissantes d’Anna Bu Kliewer
Collages surréalistes : les identités florissantes d’Anna Bu Kliewer
Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Installée à Londres, l’artiste ukrainienne Anna Bu Kliewer crée de…
11 février 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Polaraki : une collection de polaroids d'Araki sort d'un appartement parisien
Sans titre, Araki Nobuyoshi 1990 -2024 © Nobuyoshi Araki © Musée Guimet, Paris, Nicolas Fussler
Polaraki : une collection de polaroids d’Araki sort d’un appartement parisien
Jusqu'au 12 janvier 2026, le musée des arts asiatiques - Guimet accueille une collection foisonnant de polaroids, issue de l’œuvre du...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contenu sensible
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
My Tinder boys © Yushi Li
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
Sur Tinder, l'artiste chinoise Yushi Li, installée à Londres, sélectionne des amants qu'elle soumet à son regard féminin. Elle questionne...
02 octobre 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Polaraki : une collection de polaroids d'Araki sort d'un appartement parisien
Sans titre, Araki Nobuyoshi 1990 -2024 © Nobuyoshi Araki © Musée Guimet, Paris, Nicolas Fussler
Polaraki : une collection de polaroids d’Araki sort d’un appartement parisien
Jusqu'au 12 janvier 2026, le musée des arts asiatiques - Guimet accueille une collection foisonnant de polaroids, issue de l’œuvre du...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet