Kler, états de présence est le solo show de Joël Alain Dervaux, qui suit depuis des années la transition d’un jeune homme, Kler. Avec une forme de douceur et de radicalité, les deux tissent un récit à la fois pudique et frontal. Portrait intime d’un corps qui refuse désormais l’état d’absence à soi-même et au monde. Découvrez l’exposition jusqu’au 6 avril.
Le mot « queer » est impossible à définir et c’est bien cette fluidité essentielle qui met à mal la philosophie straight, obsédée par les catégories et les cadres fixes. Si nous voulions, malgré tout, identifier une constante de cette pensée, nous pourrions la situer dans la « tendresse radicale ». Une façon douce, épanouissante et tolérante de vivre et de concevoir le corps, couplée à la ferme intention de la liberté. La lutte politique et le soin intime vont de pair. C’est ce que l’on peut apercevoir dans la série Kler, états de présence, un travail de Joël Alain Dervaux, exposé jusqu’au 6 avril au 21 rue Guénégaud, Paris. C’est l’histoire d’une rencontre entre un photographe et une personne en transition, qui l’accueille avec courage dans son intimité. Par des regards et des gestes, Kler prend « le risque de livrer à l’objectif la marque du désir (« désir » : ce qui nous meut et nous rend vivants) », comme l’explique Dervaux. Lors de cette quête de soi, « les vêtements et les accessoires issus du vestiaire masculin représentent un premier moyen privilégié d’appropriation du genre, tandis que se déroule le processus des injections et que se font chair d’autres signifiants du masculin. » Une exposition qui dégage une douceur libératrice et guérisseuse, une force politique radicale et joyeuse.
Un épanouissement du Soi
Le chemin de Kler est celui d’une reconnaissance intime. Au-delà d’une transition, il est aussi un épanouissement du soi et un jaillissement. À travers ces portraits en noir et blanc, émerge le courage de cette personne, qui franchit les normes imposées et refuse le regard social, gorgé de moralisme et de faux-semblants. Transitionner est un moment courageux de vulnérabilité corporelle. C’est un processus qui demande une énorme force intérieure et une « tendresse radicale » de la part de l’entourage. Pour le photographe, il s’agit là d’une « quête d’identité mue par le désir » et, peut-être, de co-créer un endroit de soin et d’empowerment. Le projet refuse de tomber dans le documentaire, un format qui risquerait de tendre vers un certain voyeurisme. Bien au contraire, le modèle et le photographe se rencontrent et écrivent ensemble ce récit, au sein duquel le véritable protagoniste demeure Kler.
Joël Alain Dervaux fait le lien entre son témoignage et les regardeur·ses. Il entrouvre une fenêtre sur une histoire dévoilée avec pudeur. L’objectif permet de saisir cet élan de désir d’être soi-même et suit, pas à pas, cette transition, durant laquelle le photographe devient un allié. « J’ai rencontré son univers pudique et poétique en 2019 à travers ses images publiées sur les réseaux sociaux et je suis devenu progressivement un témoin de sa transition, explique Joël Alain Dervaux au sujet de son amitié avec Kler. Les rencontres, les séances photographiques se font à intervalles espacés cependant reliées par un dialogue suivi. » La série pose des questions essentielles, dans un moment politique où la transidentité est encore considérée comme une pathologie par le corps médical et que le radicalisme de droite met en péril les vies trans. Un geste déterminé, là où le fait même de montrer son corps devient politique.