Kler : le récit tendre et radical d’une transition

20 mars 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Kler : le récit tendre et radical d'une transition
© Joël Alain Dervaux
© Joël Alain Dervaux
© Joël Alain Dervaux
© Joël Alain Dervaux

Kler, états de présence est le solo show de Joël Alain Dervaux, qui suit depuis des années la transition d’un jeune homme, Kler. Avec une forme de douceur et de radicalité, les deux tissent un récit à la fois pudique et frontal. Portrait intime d’un corps qui refuse désormais l’état d’absence à soi-même et au monde. Découvrez l’exposition jusqu’au 6 avril.

Le mot « queer » est impossible à définir et c’est bien cette fluidité essentielle qui met à mal la philosophie straight, obsédée par les catégories et les cadres fixes. Si nous voulions, malgré tout, identifier une constante de cette pensée, nous pourrions la situer dans la « tendresse radicale ». Une façon douce, épanouissante et tolérante de vivre et de concevoir le corps, couplée à la ferme intention de la liberté. La lutte politique et le soin intime vont de pair. C’est ce que l’on peut apercevoir dans la série Kler, états de présence, un travail de Joël Alain Dervaux, exposé jusqu’au 6 avril au 21 rue Guénégaud, Paris. C’est l’histoire d’une rencontre entre un photographe et une personne en transition, qui l’accueille avec courage dans son intimité. Par des regards et des gestes, Kler prend « le risque de livrer à l’objectif la marque du désir (« désir » : ce qui nous meut et nous rend vivants) », comme l’explique Dervaux. Lors de cette quête de soi, « les vêtements et les accessoires issus du vestiaire masculin représentent un premier moyen privilégié d’appropriation du genre, tandis que se déroule le processus des injections et que se font chair d’autres signifiants du masculin. » Une exposition qui dégage une douceur libératrice et guérisseuse, une force politique radicale et joyeuse.

Un épanouissement du Soi

Le chemin de Kler est celui d’une reconnaissance intime. Au-delà d’une transition, il est aussi un épanouissement du soi et un jaillissement. À travers ces portraits en noir et blanc, émerge le courage de cette personne, qui franchit les normes imposées et refuse le regard social, gorgé de moralisme et de faux-semblants. Transitionner est un moment courageux de vulnérabilité corporelle. C’est un processus qui demande une énorme force intérieure et une « tendresse radicale » de la part de l’entourage. Pour le photographe, il s’agit là d’une « quête d’identité mue par le désir » et, peut-être, de co-créer un endroit de soin et d’empowerment. Le projet refuse de tomber dans le documentaire, un format qui risquerait de tendre vers un certain voyeurisme. Bien au contraire, le modèle et le photographe se rencontrent et écrivent ensemble ce récit, au sein duquel le véritable protagoniste demeure Kler.

Joël Alain Dervaux fait le lien entre son témoignage et les regardeur·ses. Il entrouvre une fenêtre sur une histoire dévoilée avec pudeur. L’objectif permet de saisir cet élan de désir d’être soi-même et suit, pas à pas, cette transition, durant laquelle le photographe devient un allié. « J’ai rencontré son univers pudique et poétique en 2019 à travers ses images publiées sur les réseaux sociaux et je suis devenu progressivement un témoin de sa transition, explique Joël Alain Dervaux au sujet de son amitié avec Kler. Les rencontres, les séances photographiques se font à intervalles espacés cependant reliées par un dialogue suivi. » La série pose des questions essentielles, dans un moment politique où la transidentité est encore considérée comme une pathologie par le corps médical et que le radicalisme de droite met en péril les vies trans. Un geste déterminé, là où le fait même de montrer son corps devient politique.

À lire aussi
Nanténé Traoré : Tu vas pas muter ou la douceur d'une transition
© Nanténé Traoré
Nanténé Traoré : Tu vas pas muter ou la douceur d’une transition
Avec « Tu vas pas muter », Nanténé Traoré envisage les moments d’injection d’hormones pour les personnes en transition comme des rituels…
13 octobre 2023   •  
Écrit par Milena III
Focus #14 : Vincent Ferrané dépeint le quotidien de personnes queer
Focus #14 : Vincent Ferrané dépeint le quotidien de personnes queer
Le mercredi, avec Focus, nous donnons la parole à vos photographes préféré·e·s ! Et ce nouvel épisode est consacré à Vincent Ferrané et…
01 juin 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
« Transbrasil » : vivre queer dans un pays où la différence n’est pas acceptée
« Transbrasil » : vivre queer dans un pays où la différence n’est pas acceptée
Originaire de Rio de Janeiro, Rafael Medina développe depuis plusieurs années des projets inspirés par la communauté LGBTQIA+. Vivant…
22 novembre 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Jeune amour, 2024 © Nan Goldin. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Ce mardi 8 juillet, Nan Goldin a reçu le prix Women in Motion au Théâtre Antique d’Arles, qui affichait complet. À cette occasion...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Erica Lennard : « L'amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Elizabeth, Californie, printemps 1970. © Erica Lennard. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / La Galerie Rouge.
Erica Lennard : « L’amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Erica Lennard présente Les Femmes, les Sœurs à l’espace Van Gogh dans le cadre de la 56e édition des Rencontres d’Arles. L’exposition est...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Andrea © Ainhoa Ezkurra Cabello
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella, nos coups de cœur de la semaine, saisissent l’intime, les corps et les relations aux...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nous autres, une ode à l'amitié et à la mémoire queer
Autoportrait avec JEB, E. 9th Street, New York, 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Nous autres, une ode à l’amitié et à la mémoire queer
Avec Nous Autres, Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, présentée jusqu’au 16 novembre 2025, le Bal signe une...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jaguar par Hugo Mapelli : fragments d’une métamorphose
© Hugo Mapelli
Jaguar par Hugo Mapelli : fragments d’une métamorphose
À l’occasion de la sortie de la Type 00, Fisheye invite le photographe français Hugo Mapelli à poser son regard sur la nouvelle...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Catherine Duverger écoute une rivière en lutte
Pastiche publicitaire / La Seiche, surimpression argentique © Catherine Duverger
Catherine Duverger écoute une rivière en lutte
À travers un projet qui mêle enquête de terrain et expérimentation photographique, Catherine Duverger dévoile les couches...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Milena III
Masha Sviatahor : danse macabre
Everybody Danse! © Masha Sviatahor
Masha Sviatahor : danse macabre
L'artiste biélorusse Masha Sviatahor constitue collages étranges et kitsch avec des images issues du magazine soviétique Sovetskoe Foto....
17 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Elsa & Johanna présentent Lost and Found à Marseille
© Elsa et Johanna
Elsa & Johanna présentent Lost and Found à Marseille
Jusqu’au 27 juillet 2025, le Centre photographique Marseille accueille Lost and Found, la nouvelle exposition du duo Elsa & Johanna....
16 juillet 2025   •  
Écrit par Costanza Spina