Katalin Száraz compose, avec La fille du marin, un hommage visuel à la profession de son père. Une série oscillant entre les fantasmes de son enfance et ses propres expéditions, sur les traces de ses parents.
Il y a des plages au sable rougi par les lueurs d’un phare, des hublots noyés dans l’acier, des grues qui pointent vers le port. Il y a des rêves de voyages lointains et des petites filles qui s’endorment, un coquillage contre l’oreille pour y entendre la mer. Dans La fille du marin, Katalin Száraz fait écho à sa propre enfance, à son imaginaire de périples sur l’océan, et à la réalité qui s’impose pour faire chavirer les fantasmes : « Je n’ai eu la chance de rendre visite à mon père dans un port qu’une fois, pendant une brève période, près de Copenhague », précise-t-elle.
D’origine hongroise, l’artiste aujourd’hui installée à Paris développe « des projets conceptuels qui explore les liens entre le foyer et l’identité dans le contexte d’une vie sur la route ». Il y a dix ans, elle débute ses errances, et s’installe en Belgique, puis en Allemagne avant de mettre cap sur la France, ses pertes de repères devenant, naturellement, un fil rouge de sa création. D’abord adepte de la peinture, c’est à 14 ans, grâce à un boîtier compact de son père, qu’elle découvre le 8e art – une histoire qu’elle n’a, depuis, cessé de poursuivre. Instinctivement, elle envisage ses images comme elle imagine ses tableaux, développant une esthétique picturale où fleurissent symbolisme et nuances colorées. « Il est très important pour moi de créer une atmosphère reconnaissable dans mon travail », affirme-t-elle. Éclairées par des lueurs surnaturelles, les scènes qu’elles capturent s’affranchissent des codes du réalisme. Au cœur de ses errances, le jour chavire dans la nuit, les tons chauds et froids se rencontrent, et nous plongent dans un lieu étrange fait de contes, de souvenirs et de possibles.
L’écho de songes lointains
C’est cette aura fantastique qui enveloppe La fille du marin. Au commencement, une envie de s’inspirer de sa propre intimité : « Je voulais avant tout photographier les lieux où mes parents avait voyagé ensemble, en me basant sur le journal de ma mère et les histoires qu’iels me racontaient lorsque j’étais jeune. Le fait que ces aventures soient réelles m’avait beaucoup enthousiasmée. J’étais obsédée par ces endroits, que j’imaginais magnifiques et mystérieux », se souvient Katalin Száraz. En grandissant, pourtant, elle apprend à distinguer les limites de ces paysages oniriques : les containers qui s’amoncellent à quai, les bâtiments décrépis – ruines d’une lointaine révolution industrielle – et la pollution qui sort, en fumée noire, des cheminées. « Je voulais les représenter. Les gens n’ont, en général, aucune idée de la dualité qu’implique la vie que mène mon père », explique l’autrice.
Pensée comme un véritable périple aux quatre coins du monde, la série a poussé Katalin Száraz à renoncer à un contrôle total de ses compositions pour laisser une place à l’intuition. Comme un rappel à rester sensible face à l’inconnu, à laisser l’inexplicable s’immiscer dans la création. Inspirées par les « habitudes familiales, les souvenirs et les émotions » de son enfance, les images de la série se font l’écho de songes lointain propulsés par une imagination exaltée. Les objets de son quotidien – des trésors que son père rapportait de ses expéditions – croisent des espaces énigmatiques guidant ses pas vers un horizon invisible. Çà et là, des lumières éclairent la sérénité d’un corps plongé dans le sommeil, illuminent le cœur d’un globe d’où semblent émaner les différentes étapes du voyage. Un parcours pétri de nuances, guidé tour à tour par l’âme innocente d’une enfant, et celle, plus sage, de l’adulte qu’elle est devenue.