Le prix pour la Photographie du musée du quai Branly – Jacques Chirac 2025 distingue Kurt Tong et Emmanuelle Andrianjafy. Deux démarches singulières qui, chacune à sa manière, interrogent les tensions intimes et collectives de notre époque, tout en élargissant le regard sur les cultures extra-européennes.
Depuis 2022, le prix pour la Photographie du musée du quai Branly – Jacques Chirac récompense chaque année deux artistes dont l’œuvre dialogue avec les enjeux contemporains des cultures extra-européennes. Héritier d’un programme de résidences lancé en 2008, il s’inscrit dans la volonté du musée de soutenir une photographie qui dépasse le seul champ documentaire, embrassant des approches expérimentales, narratives ou performatives. Avec une dotation portée à 30 000 euros par lauréat·e, le prix offre aux artistes la possibilité de produire un projet ambitieux dont les images rejoignent ensuite les collections nationales. Ce soutien a déjà permis l’intégration de 47 ensembles photographiques, abordant des thèmes aussi variés que l’écologie, les migrations, la mémoire postcoloniale ou les identités queer.
L’édition 2025 illustre cette diversité, choisissant deux lauréat·es dont les démarches, bien que très différentes, se rejoignent dans leur capacité à interroger les tensions intimes et collectives : Kurt Tong, originaire de Hong Kong, et Emmanuelle Andrianjafy, née à Madagascar et installée à Nairobi. Cette année, le jury – composé de personnalités du monde de l’art et de l’institution muséale – a sélectionné les deux projets parmi 761 candidatures venues de 102 pays, signe d’un rayonnement international croissant.
Le regard, un outil de connaissance et de transformation
Chez Kurt Tong, la photographie se déploie comme un livre ouvert sur l’histoire, la sienne et celle de la diaspora chinoise. Né en 1977 à Hong Kong et formé au Royaume-Uni, il construit depuis 2006 une œuvre mêlant archives et images contemporaines. Son projet lauréat, The Cult of Illusion, adopte un ton satirique pour explorer la résurgence des superstitions dans sa ville natale et l’exploitation des plus vulnérables par des figures pseudo-spirituelles. À travers un dispositif mêlant photographie, vidéo, performance et objets, Kurt Tong se met en scène en faux prêtre taoïste, révélant les subtils mécanismes de manipulation qui prospèrent dans les périodes d’incertitude. L’humour y devient un outil de lucidité, et la satire, un langage critique.
Emmanuelle Andrianjafy, elle, puise dans le rythme lent de la rencontre. Après vingt ans passés loin de Madagascar, elle retourne dans son pays natal en 2018, amorçant The Maze (titre provisoire). Ce travail, toujours en cours, interroge la mémoire familiale, l’exil et le regard qu’on porte sur les lieux de l’enfance à la lumière du temps écoulé. Loin du reportage instantané, sa démarche privilégie l’immersion et l’observation patiente. Chaque image devient une strate de mémoire, une tentative de réconciliation avec des souvenirs marqués par des tensions intérieures et sociales. L’un joue de la satire pour déconstruire les illusions, l’autre s’attarde sur la lente recomposition d’un lien intime à travers la distance. Ensemble, leurs œuvres incarnent la mission du prix : offrir à la photographie un espace où le personnel rencontre le politique, où le regard devient autant un outil de connaissance que de transformation.