« We can’t imagine the length of time it took to make the universe […] »
Submergée par l’anxiété née de la pandémie mondiale, Diambra Mariani trouve refuge dans la création. Inspirée par un poème dédié à la lune, elle crée des compositions oniriques, et retrouve ainsi sa paix intérieure.
C’est en découvrant ces vers du poème 8 Moons de Sharon Olds, poétesse américaine et lauréate du Prix Pulitzer de la poésie en 2013, que Diambra Mariani a initié sa série au lyrisme envoûtant. Pour cette artiste plasticienne originaire de Vérone, dans le nord de l’Italie, la littérature, et plus particulièrement la poésie, a toujours été une porte d’entrée vers l’art, bien avant sa découverte de la photographie. « Étant enfant unique, j’ai passé beau- coup de temps seule ou avec des adultes, raconte-t-elle. Cela m’a conduite à lire très tôt pour me divertir et imiter les plus âgé·es. La littérature était essentielle pour moi, tandis que la photographie n’avait aucun rôle dans mon éducation. Je l’ai découverte au début de la vingtaine, et bien que j’aie craint d’avoir commencé trop tard, j’ai surmonté cette inquiétude en l’étudiant, d’abord comme un outil artistique. Le photojournalisme a ensuite capté mon attention en tant que carrière potentielle. Au fil des ans, j’ai exploré la photographie commerciale et l’enseignement. Maintenant, je reviens à mes premières amours, en me concentrant sur la photographie et la littérature comme moyens d’expression personnelle. »
En 2020, alors que la crise du covid-19 contraint Diambra Mariani à revenir dans sa région natale, en pleine campagne, après plusieurs années passées à Barcelone, ses certitudes quant à l’avenir s’effondrent. Un sentiment de vide existentiel s’empare d’elle. La solitude, exacerbée par la pandémie, le dérèglement climatique et le début du conflit russo-ukrainien, ne fait qu’accentuer ses angoisses. Pour trouver du réconfort et de l’apaisement, elle se tourne, comme à son habitude, vers la lecture. C’est alors qu’elle découvre, en ligne, le poème de Sharon Olds. Il résonne instantanément en elle. Chaque vers apparaît comme une méditation sur le monde, traduisant des maux contemporains, évoquant la perte, le danger nucléaire, l’impact de l’humanité sur la Terre, tout en conservant une dimension holistique. Ces mots lui offrent un refuge, un moyen de poser son esprit, de traduire ses ressentis, et de se sentir comprise. Vient alors à Diambra Mariani le besoin d’apporter sa pierre à l’édifice, de conjurer l’anxiété par l’art. Elle décide de créer son propre poème visuel, inspiré par l’œuvre de Sharon Olds.
« Some say the equators of 8 moons dropped onto the surface of the pacific would fit on it. »
Mettre des vers en image
À partir des vers de la poétesse, elle réalise ses premières images, veillant à évoquer l’eau et la lune, fil conducteur de sa série. « J’ai une affection particulière pour les symboles associés à l’image de la femme, comme la lune », confie Diambra Mariani. Celle qui se plaît à revisiter son archive pour trouver de nouvelles significations à d’anciens travaux se remémore une photo de sa mère : « C’est un ancien portrait que j’ai sauvé d’elle. Lorsque je l’ai pris, nous venions de faire une mammographie ensemble – heureusement, tout allait bien. Je me souviens que les images de nos seins ressemblaient à des lunes. » Les métaphores verbales de la poétesse se mêlent aux métaphores visuelles de la photographe : le « parent » de Sharon Olds devient la mère de Diambra Mariani, l’explosion est symbolisée par l’image d’un champignon, les poussières d’étoiles rappellent la création de l’univers, les atomes sont représentés par des œufs… Elle superpose, colle, retouche pour s’approprier le poème et petit à petit s’en détacher.
« Si le vers qui m’a le plus attirée est celui que j’ai choisi comme titre, l’image qui m’est immédiatement venue à l’esprit en lisant le poème était liée à cette question : “Si vous laissiez tomber la lune dans le Pacifique, la circonférence de la lune s’adapterait-elle ?” J’aimais, poursuit-elle, l’idée d’une lune dans la mer, l’eau éclaboussant. Ce fut le point de départ de ma traduction visuelle, assez libre et personnelle. Je ne voulais pas être didactique, expliquer le poème, briser l’énigme du langage poétique, insiste-t-elle. Je voulais juste le voir tel que je l’avais lu la première fois, afin d’élargir l’expérience. » L’anxiété qui l’a poussée à construire sa série s’efface au profit de la beauté onirique qui s’en dégage. Elle panse et apaise en permettant de se relier au monde et d’appartenir à un ensemble plus vaste et cohérent. « Je crois que la recherche de la beauté ne sert pas seulement à fuir une réalité insupportable, mais qu’elle est aussi un exercice moral. Perdre la conscience de la beauté peut mener à la dissociation et à l’indifférence. Nous avons besoin de sentir que nous appartenons à quelque chose de beau pour ne pas nous sentir sans but. L’art est un outil puissant pour nous le rappeler », reconnaît-elle. En nous invitant à percevoir notre réalité avec davantage de hauteur et de textures, la série de Diambra Mariani nous offre un moment de répit face à ce qui nous pèse. Comme à la lecture d’un poème où, même si l’on ne saisit pas tout d’emblée, le mystère qui en émane prévaut sur son élucidation.