Jusqu’au 24 septembre 2023, le Pavillon Populaire consacre une exposition d’envergure à Antoni Campañà et, plus particulièrement, à ses images méconnues de la guerre d’Espagne. Près de 200 tirages donnent à voir, sans jugement ni complaisance, les contours d’un conflit complexe en bien des aspects.
S’il était déjà bien connu à son époque, on se souvient aujourd’hui d’Antoni Campañà pour une partie de sa pratique qu’il a toujours dissimulée. Né en 1906, le photographe catalan a vécu la guerre civile espagnole et, pendant longtemps, nul ne sut s’il avait immortalisé le conflit. Pourtant, ce représentant réputé du courant pictorialiste était également photoreporter et répondait régulièrement aux commandes de diverses revues. Son œuvre présentait donc un vide qui fut comblé quelques temps après sa disparition, survenue en 1989, après la découverte de boîtes rouges. Conservées dans le garage de sa dernière demeure, qui allait être détruite, celles-ci contenaient un ensemble de plus de 5000 tirages et négatifs. À la différence de Robert Capa ou de Gerda Taro, Antoni Campañà connaissait parfaitement les contours du territoire qu’il saisissait.
Une terre de contradictions
Pour la première fois en France, le Pavillon Populaire a donc décidé de consacrer une monographie à ce pan de la carrière d’Antoni Campañà, et l’essentiel des 200 images présentées provient de négatifs. Seuls quelques rares tirages en vitrine sont d’époque. « Parfois, les meilleures prises sont aussi celles que l’on ne veut pas montrer, et pour cause », souligne à juste titre Plàcid García-Planas, commissaire de l’exposition. Il faut dire que les quatorze années qui suivirent la mort de Franco, le photographe préféra rester discret, bien conscient que la guerre civile animait encore le cœur des familles espagnoles et que l’ouverture de cette boîte de Pandore ambivalente suffirait à réveiller l’animosité latente.
Toutefois, de 1936 à 1939, il captura la Catalogne dans toutes ses nuances. Fervent catholique, il donnait à voir aussi bien l’allégresse des anarchistes brûlant les églises – clichés sans doute les plus marquants du genre pour la période – que la dure réalité des personnes réfugiées. Cantines et aides alimentaires, moments de fêtes religieuses ou folkloriques, contrôles nocturnes, travail à la ville ou dans les champs, manifestations et place des femmes dans cette société en révolte… Entre les deux, les scènes de vie quotidienne de la classe moyenne qui s’effondre se multiplient. L’euphorie et la terreur se heurtent avec véhémence et suggèrent les contradictions qui habitent les populations.
Une objectivité troublante
Nationalistes ou anarchistes, chaque camp pouvait ainsi piocher dans l’imagerie qui lui était la plus favorable et servait au mieux son discours. Ces derniers n’hésitèrent d’ailleurs pas à le faire, et les compositions, non signées, d’Antoni Campañà furent utilisées à maintes reprises dans leurs campagnes de propagande. Ces années-là, son fidèle boîtier s’imposait avant tout comme l’instrument d’une thérapie personnelle. Il lui permettait de répondre, en contrepoint, au désir de documenter l’existence qui subsiste malgré le chaos et de concevoir des monochromes à la portée esthétique. Ceux-ci participèrent de part et d’autre, avec singularité, à l’élaboration de diverses mythologies de cette guerre, Barcelone étant devenu le théâtre de plusieurs réalités, politiques et sociales, qui s’affrontaient sans relâche sans jamais se confondre.
En cela, ce fragment de l’œuvre d’Antoni Campañà suscite l’interrogation. Seules, les précieuses archives qu’il a générées ne permettent pas de trahir ses convictions. L’engagement militant que nous retrouvons volontiers chez d’autres reporters de guerre laisse alors place à une quête du réel, à une objectivité sans faille qui ne peut que troubler celui ou celle qui regarde. Afin de prolonger cette impression, l’exposition du Pavillon Populaire s’achève sur un portrait de petit format de Franco, grand vainqueur de la guerre d’Espagne. Pour beaucoup, étranger à cette période de l’histoire, celle-ci se résume à tort à cette silhouette et ce nom. Une telle chute invite alors d’autant plus à reconsidérer la complexité d’un conflit qui a fini par entraîner l’Europe puis le reste de la planète dans la Deuxième Guerre mondiale.