L’introspection familiale de Brandon Tauszik

22 septembre 2023   •  
L'introspection familiale de Brandon Tauszik
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults

Le photographe et cinéaste, Brandon Tauszik raconte une pérégrination familiale à la suite d’un deuil dans son livre Fifteens Vaults. Un combat émotionnel et physique face à la perte d’un être cher.

C’est un projet profondément personnel que propose Brandon Tauszik. Habitué des œuvres socialement engagées, il met, cette fois-ci, sa famille en avant. Dans son nouveau livre photographique Fifteens Vaults, il suit son père au quotidien dans une période charnière de son existence. Alors que sa grand-mère paternelle décède en 2020 après avoir passé plus de trois décennies loin des siens et accumulé tout un pan de vie dans un entrepôt du Massachussetts, le réalisateur et photographe établi à Los Angeles s’est muni de son appareil photo pour illustrer les conséquences émotionnelles et physiques qui surviennent des suites d’une perte. On y pense rarement lorsque l’on évoque la mort d’un proche, mais au-delà de la perte sentimentale ressentie, il existe l »« après ». Un moment souvent complexe, qui peut sembler hors du temps pour certains, où la connexion et reconnexion avec le défunt n’en est que plus forte. Trier, ranger, jeter parfois, les biens de l’être perdu peut constituer un duel entre nostalgie et découverte. « J’ai emporté mon appareil photo lors du voyage, comme je le ferais si je partais n’importe où, mais pas dans l’intention de créer un projet ou un livre en tant que tel. Mon père et moi avons travaillé sans relâche et avons fini par remplir quatre bennes de 40 mètres avec le contenu des caveaux. Nous l’avons également fait inhumer dans le cimetière militaire local. Tout au long de la semaine, je m’arrêtais pour photographier mon père pendant qu’il travaillait, physiquement aux prises avec l’héritage de sa mère. Un fils accomplissant son dernier devoir filial », expose Brandon Tauszik. Les photos en noir et blanc de l’artiste sont épurées des fioritures que peut amener la couleur, recentrant instinctivement la lecture photographique sur l’essentiel.

C’est un sentiment étrange que celui de se plonger dans les souvenirs d’autrui. Ne pas savoir à quoi s’attendre, anticiper et appréhender l’objet sur lequel on peut tomber, créer une incertitude quelque peu déroutante. Pour Brandon Tauszik et son père, c’est la désillusion qui a primé. En quête de réponses, les deux hommes ont vu leurs espoirs de rencontrer, post mortem et à travers les objets qu’elle a laissés, leur mère et grand-mère, réduit à néant. Cette femme énigmatique, plongée dans la solitude familiale depuis des années, dont la vie reste mystérieuse, ne semble pas vouloir se dévoiler dans la mort non plus. « Mon père et moi espérions découvrir des effets personnels qui nous aideraient à savoir qui était vraiment Shirley Tauszik. Cependant, nous avons surtout trouvé des produits de consommation courante qu’elle a méticuleusement mis en boîte à grande échelle. J’ai photographié l’une de ces centaines de boîtes remplies de gelée, de papier hygiénique, de sachets de thé, de sacs à sandwich et de bonbons », regrette le photographe.

Les liens du cœur

L’absence de sentimentalité souhaitée aura quand même permis aux deux hommes de trouver un sentiment de catharsis en forgeant un lien plus profond en tant que père et fils. Devoir s’occuper des affaires de Shirley Tauszik a aussi replongé le père dans son enfance et son histoire personnelle, une histoire faite de haut et de bas qu’il partage, au fur et à mesure des cartons ouverts, avec son fils. Comme des boîtes de Pandore, les coffres en bois s’ouvrent et dévoilent un flot de souvenirs à partager et transmettre. « Une fois les photographies réalisées, j’ai dû demander à ma famille son accord pour que l’œuvre devienne un projet public. Mon père a approuvé le concept et m’a expliqué la nature tumultueuse de son enfance, les violentes bagarres et le départ de sa mère alors qu’il n’avait que sept ans. Lorsque mes parents se sont mariés, mon père s’est engagé à rompre le cycle de négligence qui définissait sa relation avec ses propres parents en nous éduquant différemment, moi et mes frères et sœurs. Cette conversation est publiée sous la forme d’une interview au milieu du livre ». Plus qu’un travail sur la phase de deuil et sur les rituels contemporains de la mort, c’est un travail sur la compréhension et l’amour. Sur une reconnexion familiale qui permet un dialogue autour de l’héritage de la maladie mentale et de l’abandon.

Pour cet ouvrage, Brandon Tauszik a pu compter sur de l’aide extérieure afin que le sujet devienne objet. « J’ai travaillé avec Graham Holoch, qui dirige Eggy Press à San Francisco. On lui a diagnostiqué un cancer pendant la pandémie et nous avons discuté pour la première fois de ce projet après sa chimiothérapie réussie. Le sujet l’a interpellé, car il se débattait lui aussi avec les thèmes de l’isolement et de la mortalité à l’époque. Nous avons travaillé pendant six mois avec son équipe pour transformer ma maquette en un livre dont mon père et moi sommes fiers », confie l’artiste avant de reconnaitre que cette période de 2020 a été complexe des causes de la Covid notamment, « la plupart des gens ont été confrontés à la perte d’un être cher au cours des dernières années. Nous vivons une époque de solitude accrue et je pense que la vie et la mort de ma grand-mère en sont l’illustration ». Une manière pour lui de continuer à lier son travail, très personnel, aux maux de la société. La photographie lui permet d’immortaliser notre vécu pour qu’il devienne intemporel et s’inscrive dans le temps « elle examine le monde dans lequel nous vivons au moment où nous le vivons. Pour moi, la photographie est plus qu’une façon d’être, inquisitrice et réceptive. Je la considère comme la quintessence du vingtième siècle, le siècle où je suis né et où j’ai grandi », conclut Brandon Tauszik.

© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults

© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults

Explorez
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
© Isabelle Vaillant
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
Jusqu’au 19 mai 2024, la photographe Isabelle Vaillant investit L’Enfant Sauvage, à Bruxelles, en proposant une exposition rétrospective....
26 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
25 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
© Lorenzo Castore
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
Jusqu’au 11 mai, la galerie parisienne S. accueille le photographe Lorenzo Castore, l’un des pionniers de la nouvelle photographie...
22 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #489 : Julie Legrand et Kathleen Missud
© Julie Legrand
Les coups de cœur #489 : Julie Legrand et Kathleen Missud
Nos coups de cœur de la semaine, Julie Legrand et Kathleen Missud, ont toutes deux, au cours de leur parcours dans le 8e art, fait le...
22 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 22.04.24 au 28.04.24 : vertiges paysagers
© Elie Monferier
Les images de la semaine du 22.04.24 au 28.04.24 : vertiges paysagers
C’est l’heure du récap‘ ! Cette semaine, les photographes mis·es en avant par Fisheye réinventent la photographie de paysage. La nouvelle...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena Ill
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
© Stefanie Moshammer
Le passé artificiel de Stefanie Moshammer
Les images de Stefanie Moshammer s’inspirent d’expériences personnelles et de phénomènes sociaux, à la recherche d’un équilibre entre...
27 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
© Christopher Barraja
Instax mini 99 : les couleurs instantanées d’Aliocha Boi et Christopher Barraja 
La photographie analogique ne cesse de séduire un large public. Pour Fujifilm, Aliocha Boi et Christopher Barraja s’emparent de l’Instax...
26 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
© Isabelle Vaillant
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
Jusqu’au 19 mai 2024, la photographe Isabelle Vaillant investit L’Enfant Sauvage, à Bruxelles, en proposant une exposition rétrospective....
26 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina