
Grâce à l’impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de subtilement étrange. Twist, paru cette année chez Pomegranate Press, revisite les archives de l’artiste, entre 2019 et 2025, et explore sa perspective singulière sur le monde.
« Les images vivent et guident au-delà de mon contrôle : c’est au cœur de l’existence de Twist, déclare Grade Solomon. Même si j’ai hésité à créer un livre qui ne traite pas explicitement de la vie réelle ou des identités, il m’a finalement fasciné d’examiner comment ma perspective personnelle pouvait s’affirmer sans photographier directement ma propre vie. » Dans ce recueil à la grande poésie visuelle, nourri d’images qui parlent à la mémoire et aux émotions, la présence humaine apparaît à la manière de fragments isolés. « En me concentrant sur les traces de présence plutôt que sur des portraits complets, je laisse le corps retenir une sorte de pression intérieure, faisant allusion aux tensions privées et aux désirs silencieux que nous portons en nous, raconte le photographe new-yorkais. Et une fois que le visage est révélé dans sa plénitude, il nous frappe comme un choc : quelque chose d’aussi essentiel à la connexion humaine devient soudainement étranger, voire aliénant. » « Twist », comme pour dire qu’il n’y a qu’un pas entre le rêve et la réalité, que tout n’est peut-être au fond qu’une question de perspective.
Puissance du minimalisme
À ses débuts, à l’adolescence, Grade Solomon cultivait une esthétique saturée et agitée. Adulte, il privilégie désormais des compositions plus calmes et un monochrome dépouillé. De la recherche d’intensité, il est passé à une quête de clarté. Ses images n’en demeurent pas moins puissantes : souvenirs de naissance ou de mort (comme cette main tendue vers la lumière), orchidée déformée par son propre reflet, silhouette qui court et dont on ne sait si elle nous tend la main ou nous fuit… Chaque image de Twist est une scène d’énigme, chargée de symboles.



Le vécu et l’imaginaire
On retrouve, comme l’indique la préface d’Isabella Haid, « ce qui est à moitié vécu et à moitié imaginé » : un face-à-face où les strates de réalité se mélangent. La ville côtoie une biche sauvage, des cercles tracés dans le sable répondent à une fleur ; la nature que l’on tente de retenir fait miroir à celle que rien ne peut abîmer. « Cette tension entre ce qui est vécu et imaginé commence dès qu’une photo est sortie de son contexte, dès que les circonstances d’origine s’estompent, explique l’artiste. Certaines images restent ancrées dans l’expérience vécue, tandis que d’autres s’ouvrent à quelque chose de plus spéculatif ou symbolique. Ce qui m’importe, c’est l’endroit où l’image, détachée du moment où elle a été prise, emmène le ou la spectateur·rice. »
Des correspondances, esthétiques autant que symboliques, naissent entre les éléments naturels, les états émotionnels (tendresse, ennui…) et les paysages industriels. « Lorsqu’une forme fragile apparaît dans ou à côté d’un paysage de béton, de câbles ou de machines, elle révèle une insistance silencieuse, une capacité à persister même dans des conditions indifférentes », détaille-t-il. Le photographe interroge ainsi la distinction traditionnelle entre la nature, la culture et l’industrie. « Un arbre et un pylône électrique sont issus des mêmes matériaux et des mêmes impulsions évolutives ; l’un semble simplement plus légitime en tant que “nature” », poursuit-il. Les sites industriels, clôturés, réglementés et étrangement immaculés, ont leur propre forme de nature sauvage. En laissant ces mondes se chevaucher, j’essaie de montrer à quel point ils sont en réalité indissociables, et comment nos définitions du “naturel” en disent souvent plus long sur nos angoisses que sur les paysages eux-mêmes. »
La technique de risographie dorée réchauffe ces images en noir et blanc et leur apporte une patine d’ancienneté. Au fil des pages, l’encre s’efface légèrement et laisse une trace dorée sur le bout des doigts. « J’aimais le fait que le livre laisse une trace sur la personne qui le regarde, aussi minime soit-elle, révèle-t-il. Cela rend l’expérience plus physique et éphémère, et correspondait à l’idée que je me faisais de Twist, à la fois précieux et légèrement instable. »

Deuxième édition
60 pages
30 $




