Film expérimental où s’invite l’intelligence artificielle, films photographiques ou dystopiques : trois réalisateur·ices nous racontent les coulisses de leurs œuvres, leurs inspirations et leur rapport à la fiction. Lumière, aujourd’hui, sur Louise Ernandez, et son œuvre, Obsessio.
Ce film photographique raconte l’histoire d’un couple en pleine déliquescence. Les personnages se dédoublent à travers leurs fantasmes et leurs peurs. L’oppression psychologique macabre qui se joue nous plonge dans l’inconscient des protagonistes, où rêve et réalité se confondent.
« Obsessio a été tourné à Cadaqués, un village en Espagne où j’ai en partie grandi et qui nourrit ma sensibilité artistique. Entre nature accidentée et douceur de la mer, c’est un lieu de contrastes. Un cul-de-sac entouré de montagnes où la perception du monde extérieur et du temps s’estompe, brouillant ainsi la réalité. Le film s’inspire d’une situation classique : un couple dont l’amour s’étiole. Un tiers personnage féminin empreint de mystère surgit, incarnant désirs et fantasmes : elle passe de la bourgeoise dans son 4×4 à la sirène sur son rocher, en passant par la femme-araignée. Peu à peu, le doute s’installe quant à son identité… Je voulais explorer la dynamique des relations amoureuses et exprimer la folie qui peut émerger des rôles archétypaux et normés. Je me suis inspirée des œuvres d’Ingmar Bergman, notamment L’Heure du loup (1968). Bergman m’a toujours fascinée par sa capacité à pénétrer l’inconscient des personnages, révélant leurs peurs les plus profondes et leurs désirs cachés. La première version d’Obsessio, présentée en 2022 à Circulation(s), aux Nuits Photo et au festival InCadaqués, était en noir et blanc. Un noir et blanc contrasté, à la manière des films noirs, qui collait à l’ambiance oppressante – elle-même amplifiée par l’absence de dialogue – et à la nature introspective du film. Mais récemment, j’ai décidé de passer le film en couleurs afin d’apporter au récit une dimension plus immersive. Les nuances de couleurs retranscrivent mieux les états d’âme, en créant un contraste plus prononcé entre les mondes intérieurs et extérieurs des protagonistes […] Si l’image fixe capture un instant précis, elle peut aussi, je pense, se transformer en passage vers d’autres mondes, car il suffit d’une lumière, d’un objet, d’un regard, pour nous ouvrir en deux et nous connecter à notre inconscient. De son côté, l’image en mouvement a cette capacité unique de construire nos imaginaires grâce à son pouvoir de narration et de temporalité. Le cinéma développe des arcs narratifs, des atmosphères, des évolutions de personnages. L’immersion est alors plus profonde et la connexion émotionnelle avec le spectateur, plus intense. En combinant les deux, le film photographique ne se contente pas de figer un instant. Il offre une expérience de récit qui stimule l’imaginaire de manière complexe et profonde, tout en faisant place à l’émotion et à l’inexplicable. Et pour moi, il est crucial que la création nous émeuve et nous trouble au-delà de la simple compréhension intellectuelle. En cela, la fiction me permet de transcender la réalité, de créer des univers où les frontières entre réel et imaginaire restent floues. »
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