Make Me Beautiful : Yufan Lu et l’inaccessibilité des standards de beauté

29 novembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Make Me Beautiful : Yufan Lu et l’inaccessibilité des standards de beauté
© Yufan Lu
Portrait Of Audrey Hepburn © Yufan Lu

Alors que le business de la chirurgie esthétique est en plein boom en Chine, la photographe Yufan Lu se questionne sur les motivations à l’œuvre lorsque l’on décide de modifier son apparence. Dans sa série Make Me Beautiful, elle entreprend un travail documentaire sensible et introspectif sur son rapport au corps et à la beauté.

Le décor est feutré et rose bonbon, pourtant une certaine froideur aseptisée se dégage des lieux. Le visage de Yufan Lu est sans expression, mais les annotations qui soulignent ses yeux, son nez, ses pommettes en disent long sur les standards de beauté en Chine. Depuis plusieurs années, le business de la chirurgie esthétique a explosé, comptabilisant jusqu’à 10 millions de personnes y ayant recours par an, souvent âgées de moins de 30 ans. Ce chiffre étourdissant, ajouté à l’anxiété de la photographe qui subit de nombreuses injonctions sociétales à être « belle », l’a poussée à réaliser un projet photographique, Make Me Beautiful, où sa tête est au centre du dispositif.

Munie d’une photographie d’identité, elle s’est rendue dans une trentaine de cabinets pour se soumettre au regard de praticien·nes, qui se font appeler elleux-mêmes « concepteurices de beauté ». La photographe nous raconte : « Iels utilisaient toute une série d’outils pour évaluer mon visage et établir des plans d’opération. D’un ton autoritaire, iels en soulignaient méticuleusement chaque trait. Parfois, iels me laissaient immédiatement choisir au sein des prototypes parmi les plus populaires, comme on choisit un produit dans un rayon. Toustes m’ont dit qu’un faciès pouvait être un permis d’accès à la vie de mes rêves… J’ai alors clairement ressenti mes désirs et mes faiblesses face à l’écrasante culture de la consommation. »

© Yufan Lu
© Yufan Lu
© Yufan Lu

© Yufan Lu

Les visages comme des produits consuméristes

Durant ses études en Photographie et cultures urbaines à l’Université Goldsmiths de Londres, un programme interdisciplinaire mêlant pratique artistique et sociologie, Yufan Lu a forgé une approche singulière du médium, qu’elle qualifie de « métaphotographie ». Elle s’intéresse à la création d’images comme « un moyen de ressentir, de penser, de se souvenir et de vivre. » La photographie n’est pas un outil, mais bien l’objet de sa recherche, lui permettant de « combiner des expériences corporelles ou connaissances acquises par la pratique, avec des études théoriques. » Elle travaille actuellement sur un projet de livre pour aboutir à une version finale de cette série entamée en 2018 et qui n’a eu de cesse de se transformer. Le fil rouge reste le même : son autoportrait, annoté par des chirurgien·nes ou modifié par ses interventions plastiques.

À l’origine, Yufan Lu collectait des portraits préchirurgicaux trouvés dans les cliniques ou publiés sur des sites web de chirurgie esthétique. Elle découpait ensuite des motifs à l’aide d’un couteau, avant d’attacher à chacun d’entre eux des pensées partagées par des personnes ayant subi des opérations, écrites de sa main. « Je trouve triste la façon dont ces visages ont été jetés par leurs propriétaires, devenant de simples produits consuméristes. Je voulais les conserver. Mais à bien y réfléchir, ce sont leurs visages qu’iels ont choisi d’abandonner. Même s’ils sont publiés en ligne, ai-je le droit de les réinterpréter et de les utiliser dans d’autres contextes, ce qui pourrait aller à l’encontre de leur volonté ? J’ai fini par « transplanter » les coupures – leurs blessures – sur mes portraits, portant leurs traits comme des masques sur moi », explique-t-elle. La photographe n’a finalement pas passé le cap de sa propre transformation. Elle poursuit l’expérience de se soumettre au regard de l’objectif et du public, poussant toujours plus loin l’introspection de son image.

© Yufan Lu

© Yufan Lu

© Yufan Lu

© Yufan Lu
© Yufan Lu
© Yufan Lu

© Yufan Lu

À lire aussi
Corps modèles
Corps modèles
Des goodies à la chirurgie esthétique, du culte du corps au culturisme fou, nombre de photographes critiquent et ironisent sur les…
08 mars 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Aux Rencontres d'Arles, Lahem raconte les craquelures de la Chine moderne
© Lahem, First wedding (2013)
Aux Rencontres d’Arles, Lahem raconte les craquelures de la Chine moderne
Le projet au long cours Fracture de la modernité : l’odyssée du retour dans la ville natale permet à Lahem de raconter son périple…
04 juillet 2024   •  
Écrit par Milena III
Bodies of Work : Marilou Poncin, héroïne du premier livre de Collapse Books
© Marilou Poncin / Collapse Books
Bodies of Work : Marilou Poncin, héroïne du premier livre de Collapse Books
Sorti le 7 septembre 2024, Bodies of Work, le tout premier livre de la maison d’édition Collapse Books, fondée par Bastien Forato, est…
20 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
Untitled, 2008 © Anna Di Prospero
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
La grande halle de la Villette accueille, du 9 au 12 octobre 2025, la nouvelle édition du Salon de la Photo. Rendez-vous en ce début...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Panorama 27 : au Fresnoy, l’image réinventée
Daniel Duque, Pacifico, film, 2025, production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains © Daniel Duque
Panorama 27 : au Fresnoy, l’image réinventée
Au cœur du Fresnoy, l’exposition annuelle Panorama est devenue un rendez-vous incontournable. Pour sa 27e édition, l’événement orchestre...
02 octobre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
Untitled, 2008 © Anna Di Prospero
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
La grande halle de la Villette accueille, du 9 au 12 octobre 2025, la nouvelle édition du Salon de la Photo. Rendez-vous en ce début...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
© Chloé Nicosia, One Hundred Trillion Dollars / Courtesy of the artist and Rencontres photographiques du 10e
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
Pour cette édition 2025 des Rencontres photographiques du 10e, qui défie une nouvelle fois les attentes, les photographes mis·es en avant...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III