Marcin Kruk documente, à l’aide de son flash, les territoires marqués par l’absence ainsi que la vie dans les ruines des villes d’Ukraine, pays qui subit, depuis trois ans, l’invasion russe.
La ville s’est tue, démunie et désolée. Elle a mal, mais elle s’est arrêtée de pleurer. Sourde aux assauts, ses cris s’amenuisent à mesure que le conflit s’éternise. Voilà trois ans que la guerre en Ukraine a éclaté. Face au flux d’images documentant la violence de manière frontale, Marcin Kruk a choisi de représenter le conflit sous un autre prisme. « Cette approche reflète mon intérêt pour la photographie grand format et la nécessité d’éviter la saturation d’images violentes dans les médias. J’ai un profond respect pour les photographes de guerre et leur travail indispensable. Mais je privilégie la construction plus lente, je prends le temps de dialoguer, d’être à l’écoute des récits personnels. » Il fait la rencontre d’une réfugiée ukrainienne à Ustrzyki Dolne, en Pologne, près de la frontière avec l’Ukraine. Au cours de leur échange, une phrase prononcée par la jeune femme s’impose à lui : « There are no more tears left to cry » (« Il ne reste plus de larmes pour pleurer »). Des mots qui le marquent au point de devenir le titre de sa série. « Mes arrière-grands-parents ont émigré de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine vers la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale. Je suis né à Ustrzyki Dolne et j’ai toujours été entouré de communautés ukrainiennes. Mon héritage a façonné ma réponse au conflit. Mais avec le temps, cette identité est devenue secondaire face à l’impératif plus universel : résister à l’agression et soutenir le peuple ukrainien. »
L’art comme arme de résistance
Sous un flash incandescent, Marcin Kruk capte ces lieux traversés par la guerre où ne réside plus que l’absence : théâtres désertés devenus asiles pour réfugié·es, patios d’immeubles en ruines, ponts brisés… Parfois surgissent les visages de celles et ceux qui vivent le drame dans leur chair. Parmi eux, Ira, une jeune mère et sa fille enlacées dans un bac à sable à Bucha, au nord-ouest de Kyiv : « Je lui ai demandé ce que signifiait pour elle le bonheur. Elle m’a répondu : “Pour être heureuse, il faut que la guerre se termine. Mon mari et moi avons perdu notre maison. Nous ne pourrons être en paix que lorsqu’elle sera reconstruite. Je veux que nos enfants soient heureux pour que je le sois aussi ; que les autres pays nous viennent en aide.” » Si Marcin Kruk s’investit pour la cause ukrainienne, il lutte au quotidien contre toute forme d’oppression en s’engageant dans le collectif d’artistes et de chercheurs The Archive of Public Protests, mais aussi dans son intimité, aux côtés de sa femme atteinte de deux maladies incurables : une myopathie et une ataxie cérébelleuse. « Ce combat constitue une autre forme de guerre, cette fois-ci intime, impossible à gagner, que je ressens comme une nécessité de photographier. » Marcin Kruk exhorte les artistes à faire de leur art une arme de résistance, afin de nourrir l’empathie et la solidarité ; et peut-être trouver un jour un refuge inébranlable.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #72.
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