Marisol Mendez : Madones contemporaines 

11 juillet 2024   •  
Écrit par Ana Corderot
Marisol Mendez : Madones contemporaines 
© Marisol Mendez
© Marisol Mendez

Dans MADRE, Marisol Mendez interroge la représentation blanche, misogyne et coloniale qui pèse sur les femmes du peuple autochtone colombien des Wayuus. Pour ce faire, la photographe engage un dialogue autour de l’héritage matriarcal et de tout ce qu’il suggère.

Elle fixe l’objectif, ne cille pas malgré le soleil qui l’éblouit. Elle porte une nuisette blanche brodée et une couronne de fleurs parée d’un voile. D’une main ferme et le doigt sur la détente, elle brandit fièrement son fusil à canon. C’est comme si elle nous défiait du regard. Par son unique présence, elle impose le respect. Et pour cause, elle représente Mama Quilla, la déesse inca de la lune et de la fertilité, protectrice de toutes les femmes. Dans cette image, comme dans beaucoup d’autres de la série MADRE de Marisol Mendez, il y a de la mise en scène, des symboles détournés et une teinte de pastiche, mais surtout une volonté de se réapproprier les représentations du féminin en Bolivie.

Pour l’artiste originaire de Cochabamba – au cœur du pays –, tout commence par l’écriture, et plus particulièrement celle de scénarios. Une forme d’expression qu’elle privilégie pour raconter les histoires qu’elle s’invente. Très vite viennent les images, et la volonté d’en maîtriser leur grammaire visuelle. Elle prend des cours de photographie lors d’un séjour à Buenos Aires, et se passionne pour le pouvoir poétique de la photo. De retour dans sa ville natale, elle commence à donner des cours de photographie publicitaire et esthétique à l’Université privée bolivienne (UPB) – une activité qu’elle continue encore en parallèle de son travail de photographe. Ce qui l’attire dans la photographie, « c’est l’exigence de la brièveté et de la pause. Il s’agit de composer un univers complexe dans un cadre restreint, ce qui demande d’être précis et instinctif, développe-t-elle. La photographie me permet de déchiffrer des parties insoupçonnées de mon être tout en m’obligeant à regarder vers l’extérieur. Elle est un outil me permettant de problématiser ma compréhension de la vérité. Toutes les images sont des constructions, alors je crée à ma façon des récits qui tissent mythes et histoires, subvertissant le documentaire et la fiction. » Une démarche qui transparaît dans sa série adicktionautour de ses expériences amoureuses. Mais aussi dans son intérêt pour les Wayuus, un peuple autochtone colombien affrontant une sécheresse meurtrière, à travers sa série Miruku.

© Marisol Mendez
© Marisol Mendez
© Marisol Mendez
© Marisol Mendez

Réimaginer l’histoire de la Bolivie

MADRE se concentre sur les femmes boliviennes dans un but : remettre en question la représentation blanche, misogyne et coloniale qui leur pèse. Fruit de multiples frustrations, notamment d’un sentiment de non-appartenance à l’identité bolivienne, et d’impuissance face au machisme ambiant, sa série s’entend comme une réponse à toutes ces préoccupations. Mêlant folklore andin et iconographie catholique, ce travail questionne le féminin et ses rôles stéréotypés. Une façon pour la photographe de célébrer la diversité et la complexité de sa culture tout en s’interrogeant sur la domination patriarcale et les discriminations de genre. Comprenant également des photos d’archives issues de ses albums familiaux, MADRE engage un autre dialogue, celui de l’héritage matriarcal et de tout ce qu’il suggère. Expérience cathartique, ce projet permet à Marisol Mendez de se « reconnecter à sa lignée de femmes » et, par la même occasion, de « réimaginer l’histoire de la Bolivie ».

Exploration de la féminité à plusieurs échelles, la série dévoile un panel de protagonistes féminines issues de milieux sociaux différents. Elles ne sont pas modèles et ne répondent à aucun standard de beauté. Marisol Mendez a passé du temps privilégié avec ces dernières afin de leur expliquer la portée du projet, en veillant à ce qu’elles prennent activement part à celui-ci. « J’ai essayé de rendre le processus créatif collaboratif, se souvient l’artiste. En partant des archétypes de la Vierge Marie et de Marie-Madeleine, je demandais ensuite aux personnes photographiées quel personnage elles préféraient incarner, réimaginer ou défier. Une problématique récurrente est apparue, poursuit-elle, celle de la fluidité de la féminité. En effet, nous avions souvent la même conversation sur la façon dont parfois en tant que femme, nous nous sentions “pures, innocentes et virginales” et d’autres fois, nous nous considérions comme des “pécheresses” ». En concevantMADRE, elle dit avoir appris « le dynamisme de la féminité ». Et plus encore, détaille-t-elle, « je voulais que les images fassent allusion à toutes nos contradictions. J’ai cherché à honorer l’intégrité des femmes que j’ai rencontrées, et à mettre en lumière leur résilience ». De la conception à la narration de ce projet collaboratif, la famille de Marisol Mendez a été un pilier. Il y a eu les photos d’archives familiales sur lesquelles la photographe est intervenue, mais aussi l’implication complice de sa mère, présente tout au long du processus créatif.

La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #66.

À lire aussi
Words from Dad : Laura Chen déforme les souvenirs pour trouver son identité
© Laura Chen
Words from Dad : Laura Chen déforme les souvenirs pour trouver son identité
Glitchs argentiques, archives brodées, souvenirs découpés, déconstruits et recomposés… Pour réaliser Words from Dad, Laura Chen s’est…
07 juin 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Lena Hervé : l'homme colonial remis en question
© Lena Hervé
Lena Hervé : l’homme colonial remis en question
Avec Le Bienheureux, Lena Hervé répond à un appel du passé. Son œuvre sensible, ode à la puissance de l’imagination, constitue à la fois…
05 février 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Explorez
Kiana Hayeri et Mélissa Cornet remportent la 14e édition du Prix Carmignac
Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 29 février 2024. Des journalistes féminines travaillent dans le bureau d'un média axé sur les femmes. Depuis l'arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, le paysage médiatique afghan a été décimé. Selon Reporters sans frontières, dans les trois mois qui ont suivi la prise de pouvoir des talibans, 43 % des médias afghans ont disparu. Depuis, plus des deux tiers des 12 000 journalistes présents dans le pays en 2021 ont quitté la profession. Pour les femmes journalistes, la situation est bien pire : obligées de se couvrir le visage, de voyager avec un chaperon, interdites d'interviewer des officiels, soumises au harcèlement et aux menaces, plus de 80 % d'entre elles ont cessé de travailler entre août 2021 et août 2023, selon Amnesty International. Sans reporters féminines, il devient de plus en plus difficile de rendre compte de la situation des femmes afghanes dans une société où les hommes sont rarement autorisés à les interviewer. Les sujets concernant les droits des femmes sont particulièrement sensibles, et la pression exercée sur les médias et les journalistes a fait de l'autocensure la nouvelle norme pour les reportages. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac
Kiana Hayeri et Mélissa Cornet remportent la 14e édition du Prix Carmignac
Le jury du Prix Carmignac a récompensé Kiana Hayeri et Mélissa Cornet pour Afghanistan: No Woman’s Land. Cette édition 2024 est consacrée...
05 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Et Wataru Igarashi entra dans la transe
© Wataru Igarashi
Et Wataru Igarashi entra dans la transe
Série au long cours, Spiral Code a pris, l'année dernière, la forme d’un publié chez The Photobook Review et shortlisté pour le Arles...
05 septembre 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Photographie et imaginaire, la quatrième dimension
© Elsa & Johanna
Photographie et imaginaire, la quatrième dimension
« L’imagination est plus importante que la connaissance », affirmait Albert Einstein en 1929 lors d’une interview au Philadelphia...
05 septembre 2024   •  
Écrit par Anaïs Viand
L'Italie dans l'œil des photographes de Fisheye
© Alessandro De Marinis
L’Italie dans l’œil des photographes de Fisheye
Les auteurices publié·es sur Fisheye célèbrent l’Italie, de ses paysages naturels sauvages et volcaniques à ses villes antiques.
04 septembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
J’aime la vie : l’ode à la légèreté de Tropical Stoemp
© Patrick Lambin
J’aime la vie : l’ode à la légèreté de Tropical Stoemp
Le 6 septembre est sorti le nouveau numéro de la revue photo collaborative Tropical Stoemp, créée par les éditions Le Mulet. Un opus...
07 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les souvenirs occasionnels de Tatjana Danneberg 
© Tatjana Danneberg
Les souvenirs occasionnels de Tatjana Danneberg 
Pour la première fois en France, la Maison européenne de la photographie accueille Something Happened, une exposition de l'artiste...
06 septembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Nika Sandler : amitié et boules de poils
© Nika Sandler. My Nonhuman Friends.
Nika Sandler : amitié et boules de poils
Dans son livre auto-édité My Nonhuman Friends, Nika Sandler et ses chats se partagent la narration d’une histoire d’amitié. Leur dialogue...
06 septembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Tanguy Troude : transformer nos fragilités en force
© Tanguy Troude
Tanguy Troude : transformer nos fragilités en force
Installé à Paris, Tanguy Troude fait de Consolations une série personnelle illustrant notre besoin, humain et inconscient, de réconfort....
06 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas