Dans MADRE, Marisol Mendez interroge la représentation blanche, misogyne et coloniale qui pèse sur les femmes du peuple autochtone colombien des Wayuus. Pour ce faire, la photographe engage un dialogue autour de l’héritage matriarcal et de tout ce qu’il suggère.
Elle fixe l’objectif, ne cille pas malgré le soleil qui l’éblouit. Elle porte une nuisette blanche brodée et une couronne de fleurs parée d’un voile. D’une main ferme et le doigt sur la détente, elle brandit fièrement son fusil à canon. C’est comme si elle nous défiait du regard. Par son unique présence, elle impose le respect. Et pour cause, elle représente Mama Quilla, la déesse inca de la lune et de la fertilité, protectrice de toutes les femmes. Dans cette image, comme dans beaucoup d’autres de la série MADRE de Marisol Mendez, il y a de la mise en scène, des symboles détournés et une teinte de pastiche, mais surtout une volonté de se réapproprier les représentations du féminin en Bolivie.
Pour l’artiste originaire de Cochabamba – au cœur du pays –, tout commence par l’écriture, et plus particulièrement celle de scénarios. Une forme d’expression qu’elle privilégie pour raconter les histoires qu’elle s’invente. Très vite viennent les images, et la volonté d’en maîtriser leur grammaire visuelle. Elle prend des cours de photographie lors d’un séjour à Buenos Aires, et se passionne pour le pouvoir poétique de la photo. De retour dans sa ville natale, elle commence à donner des cours de photographie publicitaire et esthétique à l’Université privée bolivienne (UPB) – une activité qu’elle continue encore en parallèle de son travail de photographe. Ce qui l’attire dans la photographie, « c’est l’exigence de la brièveté et de la pause. Il s’agit de composer un univers complexe dans un cadre restreint, ce qui demande d’être précis et instinctif, développe-t-elle. La photographie me permet de déchiffrer des parties insoupçonnées de mon être tout en m’obligeant à regarder vers l’extérieur. Elle est un outil me permettant de problématiser ma compréhension de la vérité. Toutes les images sont des constructions, alors je crée à ma façon des récits qui tissent mythes et histoires, subvertissant le documentaire et la fiction. » Une démarche qui transparaît dans sa série adicktionautour de ses expériences amoureuses. Mais aussi dans son intérêt pour les Wayuus, un peuple autochtone colombien affrontant une sécheresse meurtrière, à travers sa série Miruku.
Réimaginer l’histoire de la Bolivie
MADRE se concentre sur les femmes boliviennes dans un but : remettre en question la représentation blanche, misogyne et coloniale qui leur pèse. Fruit de multiples frustrations, notamment d’un sentiment de non-appartenance à l’identité bolivienne, et d’impuissance face au machisme ambiant, sa série s’entend comme une réponse à toutes ces préoccupations. Mêlant folklore andin et iconographie catholique, ce travail questionne le féminin et ses rôles stéréotypés. Une façon pour la photographe de célébrer la diversité et la complexité de sa culture tout en s’interrogeant sur la domination patriarcale et les discriminations de genre. Comprenant également des photos d’archives issues de ses albums familiaux, MADRE engage un autre dialogue, celui de l’héritage matriarcal et de tout ce qu’il suggère. Expérience cathartique, ce projet permet à Marisol Mendez de se « reconnecter à sa lignée de femmes » et, par la même occasion, de « réimaginer l’histoire de la Bolivie ».
Exploration de la féminité à plusieurs échelles, la série dévoile un panel de protagonistes féminines issues de milieux sociaux différents. Elles ne sont pas modèles et ne répondent à aucun standard de beauté. Marisol Mendez a passé du temps privilégié avec ces dernières afin de leur expliquer la portée du projet, en veillant à ce qu’elles prennent activement part à celui-ci. « J’ai essayé de rendre le processus créatif collaboratif, se souvient l’artiste. En partant des archétypes de la Vierge Marie et de Marie-Madeleine, je demandais ensuite aux personnes photographiées quel personnage elles préféraient incarner, réimaginer ou défier. Une problématique récurrente est apparue, poursuit-elle, celle de la fluidité de la féminité. En effet, nous avions souvent la même conversation sur la façon dont parfois en tant que femme, nous nous sentions “pures, innocentes et virginales” et d’autres fois, nous nous considérions comme des “pécheresses” ». En concevantMADRE, elle dit avoir appris « le dynamisme de la féminité ». Et plus encore, détaille-t-elle, « je voulais que les images fassent allusion à toutes nos contradictions. J’ai cherché à honorer l’intégrité des femmes que j’ai rencontrées, et à mettre en lumière leur résilience ». De la conception à la narration de ce projet collaboratif, la famille de Marisol Mendez a été un pilier. Il y a eu les photos d’archives familiales sur lesquelles la photographe est intervenue, mais aussi l’implication complice de sa mère, présente tout au long du processus créatif.
La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #66.